Politique de l’offre : la compétitivité ne justifie pas les moyens
Politique de l’offre : La compétitivité recherchée ne saurait justifier la tolérance coûteuse pour les Risques des Psycho-Sociaux (RPS).
Alors que la compétitivité des entreprises et la politique de l’offre sont soutenus par les politiques publiques, violence et/ou harcèlement au travail, qui portent atteinte à la légitimité du pouvoir hiérarchique et de direction des employeurs responsables et ont un coût pour la collectivité, ne sauraient être justifiés par ce besoin de compétitivité ou de restructuration des entreprises.
La pratique permet de mettre en exergue quatre constats :
- Le harcèlement moral n’est pas seulement descendant (un hiérarchique sur ses salariés) : il peut être ascendant par un ou des salariés contre leur supérieur ou horizontal entre salariés.
- Malgré les textes protecteurs, c’est souvent la victime qui perd son emploi.
- Le délai de traitement des dossiers de harcèlement / RPS est trop long.
- L’ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail est limité à ses signataires : actuellement de nombreuses activités dans lesquelles les risques psychosociaux sont importants échappent : santé du secteur privé non lucratif, fonction publique…
Après avoir dressé le cadre juridique, il sera présenté les mesures nécessaires qui ignorées dans le débat actuel par nos politiciens médiocres à droite comme à gauche.
Le cadre juridique en matière de harcèlement et violence au travail
Le harcèlement moral a été introduit dans le code du travail et dans le code pénal par la loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002. L’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat qui inclut les risques psychosociaux.
Le cadre juridique actuel va évoluer à la faveur des projets de loi Macron et Rebsamen actuellement en discussion.
Le cadre juridique actuel
L’ANI du 26 mars 2010 étendu par arrêté du 23 juillet 2010 (NOR: MTST1019978A) a un caractère réglementaire: l’article 1 de l’arrêté dispose que sont rendues obligatoires, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d’application, les dispositions de l’accord national interprofessionnel sur le harcèlement et la violence au travail du 26 mars 2010. Le champ d’application est l’industrie, les commerces, les services et l’artisanat. Il y a donc des organismes interstitiels – par exemple une entreprise agricole, le secteur de la santé, la fonction publique… – pour lesquels l’application n’est pas prévue, ce qui crée une inégalité des salariés devant la protection, la santé et la sécurité au travail.
L’ANI du 11 janvier 2013 devenu loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a réduit les délais de saisine du Conseil de Prud’hommes à deux ans sauf contestations en matière de discrimination ou harcèlement, pour lesquelles le délai est le délai de droit commun de cinq ans.
Ainsi l’article L.1471-1 du Code du Travail dispose-t-il que :
Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Le premier alinéa n’est toutefois pas applicable aux actions en réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7 et L. 1237-14, ni à l’application du dernier alinéa de l’article L. 1134-5.
L’article 1152-1 concerne le Harcèlement moral pour lequel la prescription est de cinq ans(prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil) ;
L’article 1153-1 concerne le Harcèlement sexuel pour lequel la prescription est également de cinq ans(prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil).
Dans un souci de protection du salarié qui ne répond pas aux attentes en termes de performance ou encore d’intégration, le comportement inadapté de l’employeur en ce qu’il dépasse les limites de son pouvoir de direction peut être qualifié de harcèlement pour les 3 juges de cassation, peu importe la manière dont le salarié s’est comporté à l’égard de son travail, de ses collègues voire sa hiérarchie, l’employeur disposant de voies de droit pour le sanctionner, voire s’en séparer (Cass. Crim., 27 mai 2015, N° 14-81.489 et Cass Soc., 13 mai 2015, N° 14-10.854. Auparavant CE, 11 janvier 2011, N° 321225).
Le nouveau cadre juridique par le législateur pour la politique de l’offre
La loi Rebsamen (LOI n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi ; JORF n°0189 du 18 août 2015 page 1434)
Les situations de harcèlement peuvent se traduire par un burnout, qui n’est pas reconnu en maladie professionnelle de plein droit. Toutefois, suite à une initiative parlementaire de 2015 dans le cadre du projet de loi Rebsamen sur le dialogue social (Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, n° 2739 déposé le 22 avril 2015 modifié par le débat parlementaire), sans aller jusqu’à le reconnaitre de plein droit maladie professionnelle, le législateur devrait permettre de faciliter cette reconnaissance. La reconnaissance automatique est pour l’heure exclue par le ministre Rebsamen, très « réservé » à propos de cette « idée séduisante […] qui pourrait satisfaire tout le monde a priori mais qui aurait peu de réalité, à part un aspect médiatique. » (sic).
Deux amendements ont été adoptés lors du débat parlementaire (22 mai 2015) :
- AMENDEMENT N°701: APRÈS L’ARTICLE 19, insérer l’article suivant : L’article L. 461‑1 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle dans les conditions prévues aux quatrième et cinquième alinéas du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire. »
- AMENDEMENT N°335 : APRÈS L’ARTICLE 19, insérer l’article suivant: Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er septembre 2015, un rapport sur l’intégration des affections psychiques dans le tableau des maladies professionnelles ou l’abaissement du seuil d’incapacité permanente partielle pour ces mêmes affections.
L’amendement N°335 est devenu l’article 33 de la loi définitive avec une échéance au 1er juin 2016. L’amendement N°701 est devenu l’article 27 de la loi définitive.
La loi Macron (LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ; JORF n°0181 du 7 août 2015 page 13537)
Parallèlement au projet de loi Rebsamen sur le dialogue social, le projet de loi Macron (Projet de loi pour la croissance et l’activité, n° 2447, déposé le 11 décembre 2014 modifié par le débat parlementaire) a proposé de modifier les procédures devant le conseil de prud’hommes en plafonnant les dommages intérêts sauf dans les cas graves qui incluent harcèlement et discrimination dans le texte ci-dessous voté par la procédure de l’article 49, al.3, de la constitution le 16 juin 2015 (article 87D p. 250) :
⑧ « Art. L. 1235-3-2. – L’article L. 1235-3 s’applique sans préjudice de la faculté pour le juge de fixer une indemnité d’un montant supérieur en cas de faute de l’employeur d’une particulière gravité, caractérisée par des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, par un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues à l’article L. 1134-4 ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 ou en matière de corruption dans les conditions prévues à l’article L. 1161-1, par la violation de l’exercice du droit de grève dans les conditions mentionnées à l’article L. 2511-1 ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé dans les conditions mentionnées à l’article L. 2422-1, par la violation de la protection dont bénéficient certains salariés dans les conditions mentionnées aux articles L. 1225-71, L. 1226-13 et L. 1226-15 ou par l’atteinte à une liberté fondamentale. »
Mais le Conseil Constitutionnel a censuré ce point (Décision du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015) : la voie n’est pas abandonnée : « Nous allons travailler à des solutions techniques qui prennent en compte les remarques du Conseil constitutionnel et ferons à la rentrée des propositions au Premier ministre et au président de la République » (Emmanuel Macron, cité par Les Echos du 7 août 2015).
Si ces approches semblent au moins sauvegarder les droits en matière de harcèlement et plus généralement risques psychosociaux voire ouvrir la voie à un progrès, elles ne sont pas opérationnelles et ne répondent pas aux enjeux de prévention de situations qui ont un coût pour la collectivité.
Les mesures nécessaires qui sont ignorées dans le débat actuel sur la politique de l’offre
Il est urgent de transposer dans la loi l’article 5 de l’ANI du 26 mars 2010 tout en mettant en place des mécanismes de sanction de situations qui rien à voir avec un pouvoir de direction légitime.
Transposer dans la loi l’article 5 de l’ANI du 26 mars 2010
L’ANI du 26 mars 2010 devrait être intégré dans la loi pour que tous les organismes publics ou privés soient obligés de l’appliquer. Rien ne s’y oppose sur le principe avec l’ANI du 11 janvier 2013 devenu Loi N° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi
C’est en particulier l’article 5 de l’ANI du 26 mars 2010 qui devrait devenir loi applicable à toutes les organisations :
- Sanction à l’encontre des auteurs de harcèlement ou de violence
S’il est établi qu’il y a eu harcèlement ou violence, des mesures adaptées sont prises à l’égard du ou des auteur(s). Le règlement intérieur précisera les sanctions applicables aux auteurs des agissements de harcèlement ou de violence.
- Mesures d’accompagnement des salariés harcelés ou agressés
Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement ou de violence ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
La(les) victime(s) bénéficie(nt) d’un soutien et, si nécessaire, d’une aide à leur maintien, à leur retour dans l’emploi ou à leur réinsertion.
Des mesures d’accompagnement prises en charge par l’entreprise sont mises en œuvre en cas de harcèlement avéré ou de violence, pouvant porter atteinte à la santé. Celles-ci sont avant tout destinées à apporter un soutien à la victime, notamment au plan médical et psychologique.
S’agissant des agressions par des tiers, l’entreprise pourra prévoir des mesures d’accompagnement, notamment juridique, du salarié agressé.
L’employeur, en concertation avec les salariés ou leurs représentants, procédera à l’examen des situations de harcèlement et de violence au travail lorsque de telles situations sont constatées, y compris au regard de l’ensemble des éléments de l’environnement de travail : comportements individuels, modes de management, relations avec la clientèle, mode de fonctionnement de l’entreprise, …
Les mesures de sanction
Les mesures de sanctions visent à responsabiliser les IRP et médecins du travail dans les dossiers de harcèlement et violence et accélérer la réparation pour la victime avec sanction et réparation pécuniaire par les auteurs de harcèlement ou violence.
La responsabilité des IRP et médecins du travail auteurs ou complices par leurs omissions de violences et/ou harcèlement
L’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat très large par l’article L 4121-1 du code du travail français, qui dispose que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
La jurisprudence a précisé la portée de cette obligation : l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de moyens renforcés en matière de protection de la santé et de la sécurité des personnels dans l’entreprise (Cf. jurisprudences de juin 2016 : Cass. Soc., 1er juin 2016, N°14-19702 et Cass. soc, 8 juin 2016, N° 14-13418)
La question que l’on peut alors se poser est celle d’une coresponsabilité des salariés représentants du personnel voire du médecin du travail car il est des cas où il est injuste de tout faire reposer sur le seul dirigeant.
Indépendamment de la situation pas si rare où c’est l’employeur ou le responsable hiérarchique lui-même qui est victime de harcèlement de subordonnés et/ou IRP, la pratique des entreprises permet en réalité de distinguer trois situations :
- L’employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat malgré des représentants du personnel et un médecin du travail qui ont fait toutes les diligences pour l’alerter. Il est seul responsable.
- L’employeur a manqué de bonne foi à son obligation de sécurité de résultat avec carence des représentants du personnel voire du médecin du travail par rapport aux obligations de leur mandat voire dévoiement de leur mandat. Peut-être sans ce cas devrait-il y avoir substitution de responsabilité.
- L’employeur a manqué sciemment à son obligation de sécurité de résultat avec la complicité de représentants du personnel voire du médecin du travail par leurs omissions. Il y a coresponsabilité mais avec sans nul doute une responsabilité spéciale aggravée des représentants du personnel et du médecin du travail : s’il y a une cohérence pour une direction à défendre ses intérêts contre un salarié mais dans la limite du respect du droit et de la morale, en revanche des salariés protégés et un médecin du travail auront toujours tort d’être aux côtés de la direction contre une victime surtout que cette duplicité portera atteinte aux intérêts de l’établissements à un moment ou un autre.
Renforcer l’exigence d’exemplarité des représentants du personnel
Il conviendrait de renforcer l’exigence d’exemplarité des représentants du personnel, qui auront toujours tort de
- soutenir un mauvais comportement souvent de la hiérarchie sans qu’il y ait un quelconque pouvoir de direction pour exonérer leur responsabilité de laisser mal agir la personne morale de l’employeur ou de
- mal se comporter eux-mêmes,
avec une circonstance aggravante pour ceux soumis à des règles professionnelles déontologiques de morale ou d’honorabilité.
Le législateur devrait introduire la possibilité de déchéance du mandat voire d’inéligibilité des salariés protégés ayant manqué aux devoirs de leur mandat voire permettre à la personne morale victime de représentants du personnel manquant aux devoirs de leur mandat de pouvoir licencier de droit de tels représentants, avec un délai de prescription allongé.
Renforcer la responsabilité des médecins du travail
L’avis du médecin du travail s’impose aux parties et au juge (Cass. Soc., 10 novembre 2009, N° 08-42674, FS-P+B+R) : l’article 28 du Code de déontologie médicale (R 4127-28 du Code de la santé publique) dispose que la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite.
L’administration devrait pouvoir traduire systématiquement devant le Conseil de l’Ordre les médecins qui ont failli ou menti par action ou omission dans un certificat de complaisance, se fiant uniquement aux dires d’une partie – employeur ou salarié – sans esprit critique et/ou vérification alors même que par une décision du 26 juin 2014, la Chambre disciplinaire de l’ordre national des médecins reconnait au médecin du travail des moyens d’action.
La partie victime, employeur ou plus rarement salarié, peut engager la responsabilité du médecin : Cf. articles de Marie Content « Un médecin du travail désormais responsable ? », http://business.lesechos.fr, 26 mars 2014, Aurélie Dumartin, « Médecin du travail et procédure d’inaptitude : l’employeur peut engager la responsabilité du service de santé au travail en cas de défaillances » http://www.village-justice.com, 6 mars 2014 et, antérieurement à la décision du 26 juin 2014 et Eric Rocheblave, « Employeurs, défendez-vous contre les médecins délivrant des certificats médicaux tendancieux ou de complaisance », http://rocheblave.com, 10 mai 2014
Aucun délai n’est opposable (Voir Décision n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011).
L’accélération des procédures juridictionnelles et l’équité
Les procédures devraient être accélérées dès lors que les faits de harcèlement ou de violence sont établis officiellement définitivement par une enquête (de la CPAM, de l’Inspection du Travail, de la gendarmerie…) afin de permettre à la victime de tourner la page par la sanction des auteurs de harcèlement ou violence et la réparation pécuniaire.
L’inspection du travail n’est pas sanctionnée par sa hiérarchie en cas d’inertie face à des alertes précises malgré l’arrêt Gaillard Bans (CE, 3 octobre 1997, N°161520) : cet arrêt permet de déduire que, dans une hypothèse de signalement d’infractions précises, nombreuses et graves, l’inspecteur du travail serait privé de son pouvoir de libre décision et serait dans l’obligation d’aller constater la matérialité des infractions et de les relever par voie de procès-verbal.)
Encore faut-il que l’enquête, si elle a lieu soit conduite avec déontologie et esprit critique pour ne pas étouffer les faits de harcèlement ou violence avec des phénomènes de corruption (subornation de témoin, faux témoignage…).
Une victime reconnue ne devrait jamais être condamnée au titre de l’article 700 du NCPC ou son équivalence dans un autre code (article 475-1 du CPP, article L 761-1 du CJA…), ce qui a pourtant été statué naguère par une Cour d’Appel (CAA Nancy, N° N°14NC01362, 12 mai 2015) dès lors qu’elle a utilisé de son droit de tout citoyen de demander au juge de vérifier si la loi a été respectée.