La certification hospitalière : une farce aux conséquences graves par les inconséquences
Dans un article publié sur le blog Management en Milieu de Santé sous le titre « Un arrêt de la Cour de Cassation révèle une succession de dysfonctionnements des administrations sur un cas de « harcèlement moral » à l’Hôpital« , je reviens sur un arrêt définitif de la chambre criminelle de la Cour de cassation sur un dossier de Harcèlement Moral dans un établissement hospitalier soumis à la certification hospitalière, ou plus précisément je reviens sur les carences de toute la chaîne qui a eu à connaître de ce dossier depuis 2002 au sein de l’hôpital, au sein des administrations et au sein des institutions de contrôle dont la Haute Autorité de Santé (HAS), qui a succédé à l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES).
J’avais évoqué cette affaire sur mon blog titré « Corrélation entre maltraitance et harcèlement ». J’écrivais « Si les autorités administratives de tutelle n’ont pas eu dès le départ le rôle attendu de recherche de la vérité, la DRASS et l’Inspection générale des affaires sociales ont tout de même mis en exergue des dysfonctionnements. Sans suite. Les rapports de certification toutes versions (V1, V2007, V2010) ne font pas mention de l’affaire, ce qui pose une véritable question sur la fiabilité de la procédure de certification pour, selon la HAS, évaluer la qualité et la sécurité des soins dispensés et l’ensemble des prestations délivrées par les établissements de santé ». Et de conclure que « la certification n’apporte aucune garantie de qualité du management, de la gouvernance et de qualité des soins ». Mon sentiment avait suscité des questions de la presse à la HAS dont les réponses ne m’avaient pas convaincu (Cf. article « Erreur médicale et harcèlement à Gabriel Martin: La certification n’a rien vu » sur Zinfos974).
A l’époque de l’affaire, en 2002, on en est aux balbutiements de la qualité à l’hôpital avec le référentiel de l’ANAES sur l’accréditation lancé en juin 1999 et révisé en juin 2003, auquel succéderont des référentiels sur la certification aux exigences croissantes sur le papier de la Haute Autorité de Santé . A l’époque de l’affaire la CME existe, mais elle n’a qu’un rôle consultatif qui évoluera quelques années après en 2005 (ordonnance N°2005-406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé) et surtout 2010 avec la loi HPST (décret N°2010-439 du 30 avril 2010 relatif à la commission médicale d’établissement dans les établissements publics de santé).
Il appert sur la base des sources judiciaires et notamment les faits mentionnés dans les décisions de justice, qu’il y a eu en 2002 dénonciation officielle de dysfonctionnements (terme repris dans toutes les décisions de justice de première instance, de seconde instance et de cassation) dans le service de chirurgie d’un l’hôpital, en l‘occurrence des conditions suspectes de décès d’un usager avec mise en cause des pratiques professionnelles d’un médecin par le médecin responsable de l’unité fonctionnelle de chirurgie viscérale, d’où il s’est ensuivi des représailles aussi bien du corps médical que de la direction.
Dans le langage commun de l’hôpital on appelle cela aujourd’hui un EI, événement indésirable, et le traitement d’un événement indésirable fait partie de la gestion des risques
Reprenons, sans être exhaustif, ce qui est dit sur la gestion des risques dans différents manuels d’accréditation puis de certification avant de voir l’incompatibilité avec ce qui s’est passé ayant conduit à la condamnation définitive pour harcèlement moral le 23 mai 2018.
La gestion des risques dans les manuels de certification
Manuel V1 (version actualisée de juin 2003)
Gestion de la qualité et prévention des risques (QPR)
QPR – Référence 4 – Un programme de prévention des risques est en place.
QPR.4.a. Les informations disponibles relatives aux risques et aux événements indésirables sont rassemblées.
QPR.4.b. Un système de signalement des événements indésirables est en place.
QPR.4.c. Les événements indésirables sont analysés et les mesures d’amélioration utiles sont prises.
QPR.4.d. Les secteurs, pratiques, actes ou processus à risque sont identifiés et font l’objet d’actions prioritaires dans le programme de prévention des risques.
L’établissement peut avoir développé d’autres réponses pour atteindre l’objectif ; il lui appartient d’en faire état
QPR – Référence 5 – L’efficacité du programme de gestion de la qualité et de prévention des risques est évaluée.
QPR.5.a. L’efficacité du programme de gestion de la qualité est évaluée.
QPR.5.b. L’efficacité du programme de prévention des risques est évaluée.
QPR.5.c. Le fonctionnement du système de signalement des événements indésirables est évalué.
L’établissement peut avoir développé d’autres réponses pour atteindre l’objectif ;il lui appartient d’en faire état.
Manuel V2 (V2007)
11.b La gestion des risques est organisée et coordonnée.
La démarche structurée d’identification, de signalement et d’analyse des incidents et accidents survenus repose notamment sur un système et des outils mis en place pour signaler un événement indésirable et en analyser les causes, une formation des professionnels, une communication sur le dispositif mis en œuvre à destination des professionnels, des plans d’actions et de retours d’expérience suite à un événement indésirable, etc.
Manuel V 2010 (édition de janvier 2014)
Critère 1.g Développement d’une culture qualité et sécurité
L’appropriation de la démarche d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins par l’ensemble des professionnels est un facteur clé de succès. Cette appropriation et le développement d’une véritable culture qualité et sécurité nécessitent la participation de l’ensemble des professionnels, d’une part, au signalement et à l’analyse des événements indésirables ainsi qu’à toute forme d’évaluation de la qualité et de la sécurité des soins et, d’autre part, à la mise en place des actions d’amélioration.
Critère 3.c Santé et sécurité au travail
Le programme de prévention des risques et le document unique sont évalués à périodicité définie sur la base du bilan du service de santé au travail, du CHSCT, des déclarations d’accidents du travail et d’événements indésirables. Ces évaluations donnent lieu à des actions d’amélioration.
8.f Gestion des événements indésirables
La gestion des événements indésirables constitue l’approche rétrospective de la gestion des risques. Les retours d’information doivent être gérés efficacement, car ils représentent
une des sources principales d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Il peut s’agir d’événements indésirables observés et rapportés par les professionnels ou d’événements indésirables identifiés par une analyse des processus de soins (revue de mortalité-morbidité, audits de dossiers, etc.) ou autres dispositifs (plaintes, enquêtes de satisfaction, etc.).
Une erreur médicale étouffée incompatible avec la certification hospitalière
Ce qui s’est passé, incompatible avec la certification même dans sa première version V1, est évoqué dans les décisions de justice dont sont reproduits ci-après quelques extraits révélateurs commentés.
Ce que dit la vérité judiciaire
Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis-de-La-Réunion, 6 décembre 2013, N° minute 2064/ 13/CC
C‘est après s’être inquiété des conditions suspectes du décès d’un malade et avoir mis en cause les pratiques professionnelles de l’un de ses collègues qu’il a fait l’objet de représailles
L’actuel directeur du CHGM déclarait qu’il n’était pas directeur au moment des faits, qu’il était arrivé deux ans plus tard en 2004 et avait hérité d’une situation très tendue dans le service de chirurgie.
Le rapport d’enquête diligenté par la DRASS de la Réunion à la demande du président du conseil d’administration relevait le départ d’un chirurgien viscéral en 2002 suite à des accusations d’erreurs médicales. A partir de 2002 l’ambiance était devenue tendue.
L’inspection de l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) avait été déclenchée par le décès d’une patiente dans des conditions suspectes. L’IGAS avait aussi conclu à des dysfonctionnements.
Le directeur justifiait sa décision de ne pas donner de travail pour des raisons de sécurité du patient, sans vraiment préciser en quoi. Il ajoutait que sa décision n’avait pas été remise en cause par le ministère de la santé
Il apparaît au contraire la dénonciation des dysfonctionnements à la suite du décès d’une patiente, dysfonctionnements confirmés par les inspections de la DRASS et de l’IGAS, ce qui atteste de sa particulière vigilance à la sécurité des malades.
Cour d’Appel de Saint Denis, 20 novembre 2014, N°13/00732
Les faits de la cause sont exposés aux motifs du jugement entrepris auxquels la Cour se réfère expressément et qu’elle n’entend pas reprendre dans tous ses détails en raison de la présentation exhaustive dans la décision querellée.
Son comportement envers ses confrères était qualifié de procédurier.
Il apparaît clairement que ses mauvaises relations avec ses confrères anesthésistes étaient dues à la dénonciation qu’il avait faite, que cette situation peut s’apparenter à des représailles.
Cass crim., 30 mars 2016, N°14-88390
Sans rechercher si les agissements retenus résultaient de l’action de l’un des organes ou représentants de l’établissement hospitalier, et s’ils avaient été commis pour le compte de cet établissement, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard de l’article 121-2 du code pénal ; D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef;
Cour d’Appel de Saint Denis, 15 décembre 2016, N°16/00384
En 2002, il avait dénoncé des dysfonctionnements au sein du service de chirurgie ce qui avait eu pour conséquence une pétition des médecins contre lui et il avait fait l’objet de pressions importantes qui avaient pour but son départ. Un rapport d’enquête de l’ARH fait en janvier 2004 indiquait que le directeur de l’époque n’avait pas assumé toutes ses responsabilités notamment en ne signalant pas les faits dont il avait eu connaissance, en ne s’étant pas positionné sur une demande d’expertise médicale des dossiers ni sur une suspension du Dr Z et considérait que le docteur X avait profité de sa position de président du CME (comité médical) pour s’accaparer de la chefferie de tout le service de chirurgie. Il lui était reproché une attitude anti déontologique puisqu’il y avait pris l’initiative d’une pétition contre le Dr Z.
Les médecins réunis le 21 juin 2005 à l’initiative du directeur devaient envisager les modalités de reprise . Cette réunion montrait la méfiance des anesthésistes , ceux-ci refusant d’endormir ses patients. ll y était dit que celui-ci ne pouvait reprendre son activité et qu’il était donc nécessaire qu’une décision constate que celui-ci ne pouvait exercer son métier de chirurgien au vu de l’opposition des anesthésistes. Le directeur remarquait et soulignait que cet échange mettait en évidence un risque pour le patient. Un précédent courrier daté du mois d’août 2004, émanant de l’ensemble des praticiens de l’hôpital avait émis un avis défavorable à la reprise , cet avis étant fondé sur la sécurité des malades.
ll est évident qu’ un tel ostracisme a porte atteinte a la dignité du Dr Z désavoué au vu et au su du personnel de l’hôpital
L’absence de soutien des autorités de tutelle
Cass crim., 23 mai 2018, N°17-81376
Tous actes ayant excédé par leur nature le pouvoir de direction du directeur de l’hôpital et qui ont porté atteinte à la dignité et a l’avenir professionnel de la partie civile, dès lors qu’il se déduit de ces énonciations que les juges ont relevé une faute d’un organe du centre hospitalier en la personne de son directeur, agissant pour le compte de celui-ci, ayant engagé la responsabilité pénale de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal.
Des comportements rédhibitoires pour la certification d’un hôpital
La première question qui vient à l’esprit, s’agissant d’un homicide involontaire présumé, est : quid de l’article 40 du Code de procédure pénale qui dispose que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » ? Soit il y a eu information par qui de droit du Parquet qui a classé soit il n’y a pas eu information du Parquet au mépris de la loi alors qu’il s’agit d’un homicide involontaire présumé. Le second arrêt d’appel constate la carence du directeur à l’époque des faits relevée par l’ARH.
Il s’agit d’un homicide involontaire présumé pour lequel ne pas avoir voulu étouffer l’affaire a été qualifié de procédurier par des confrères alors que le référentiel qualité déjà dans sa première version au temps de l’erreur médicale exigeait un système de signalement des événements indésirables en place (QPR.4.b.) et que les événements indésirables soient analysés et les mesures d’amélioration utiles prises (QPR.4.c.). Les référentiels qui se sont ensuivis n’ont fait que préciser et renforcer ces exigence pour la confiance des usagers dans le système hospitalier.
Il s’agit d’un homicide involontaire présumé pour lequel ne pas avoir voulu étouffer l’affaire s’est traduit pour le médecin qui a pris ses responsabilité conformément aux exigences du référentiel qualité par une mise à l’écart reconnue judiciairement comme harcèlement moral.
Il s’agit d’un homicide involontaire présumé pour lequel ne pas avoir voulu étouffer l’affaire s’est traduit par des jeux politiques d’influence ne s’étant même pas cachés pour se soustraire aux exigences du référentiel qualité.
Il s’agit d’un homicide involontaire présumé pour lequel la tutelle a laissé la procédure contre le médecin qui avait pris ses responsabilités se poursuivre jusqu’à la seconde cassation au lieu de mettre un terme à l’action du directeur qui a fait deux pourvois en cassation.
En conclusion,
Cette affaire de harcèlement moral montre que la certification des hôpitaux, anxiogène pour les personnels qui font plus de paperasse que de services aux patients et subissent une pression à l’origine de risques psychosociaux par des directions elles-mêmes sous la pression des tutelles, est une farce d’autant que je peux également parler d’expérience des turpitudes des acteurs ayant eu à connaitre d’une affaire similaire (pétition, instances au sein de l’établissement hospitalier qui n’agissent pas, tutelle qui n’agit pas voire accorde en connaissance de cause une somme de 300 KE dans un arrêté pour les soins au numéro manuscrit antérieur à l’arrêté modifié en vue d’une acquisition immobilière réalisée sans respect des conditions de temps posées et avec in fine 100% d’argent public, médecin du travail qui ne dit rien…) qui m’a conduit à porter plainte n’ayant pas apprécié d’être menacé de plainte en diffamation pour simplement exposer avec la stature d’expert des faits prouvables sans animosité :
- une telle affaire met en exergue des acteurs de l’hôpital qui ont manqué à leurs devoirs tant parmi les blouses blanches que parmi les administratifs à commencer par la direction et l’instance de gouvernance : en particulier une pétition contre quelqu’un qui prend ses responsabilité conformément à la loi aurait dû être détruite et non produite pour se justifier, ce qui révèle le manque de délicatesse ;
- une telle affaire montre l’inadaptation de l’évaluation de la qualité à l’hôpital car bien évidemment l’établissement a été certifié malgré un dysfonctionnement dans les soins d’autant plus rédhibitoire que tout a été fait pour le dissimuler et qu’il était parfaitement connu de l’administration : dès lors que des instances comme la CME, le Comité d’Entreprise, le CHSCT… ne remplissent pas leur rôle face à toute forme de violence et que la direction ne se remet pas en question voire manque de transparence sur les événements indésirables, l’établissement ne devrait pas pouvoir être certifié : cela vaut pour les fautes médicales en premier, mais aussi pour les agressions, le harcèlement moral... (Cf. 4.g, 3.c, 8.f de la V 2010) ; Agnès Buzyn elle-même ainsi que l’a relaté La Croix le 20 mai 2016 a vécu très douloureusement une « mise au placard » dans un service où elle était adjointe et dont le chef l’a subitement écartée de toutes les réunions : « C’est difficile de savoir pourquoi cela arrive. Sur le coup, vous avez le sentiment de vivre un truc de dingues. Vous avez travaillé toute votre vie, vous êtes reconnue et puis, un jour, on estime que vous n’êtes plus rien. Dès que je disais blanc, mon supérieur disait noir. Y compris parfois au sujet des patients. À tel point qu’à un moment, j’ai fini par dire l’inverse de ce que je pensais, simplement pour que la décision aille dans mon sens. … C’est très violent. Et sans mes enfants, peut-être que j’aurais songé au suicide. »
- une telle affaire met en exergue la nécessité pour l’actuelle ministre de nettoyer les écuries de l' »ancien monde » : le secteur de la santé paye très cher dans tous les sens du terme l’inconséquence de services inefficaces tant au niveau central qu’au niveau déconcentré mais également de l’instance de certification qu’elle a dirigé et supervise aujourd’hui car cette instance laisse passer des certifications qui ne devraient pas être accordées. La ministre de la santé pourra si elle le souhaite partager cette analyse alors que dans l’affaire jugée en cassation, les dernières décisions portant certification ont été signées d’elle-même en qualité (à l’époque) de présidente du collège de la Haute Autorité de Santé (dernière en date le 15 mars 2017).
Il faut arrêter cette farce qu’est la certification hospitalière qui coûte « un pognon dingue » : elle est déclarative sans vérification digne de ce nom ce que prouvent de nombreux retours d’expérience.
Sources judiciaires chronologiques :
- Tribunal de Grande Instance de Saint-Denis-de-La-Réunion, 6 décembre 2013, N° minute 2064/ 13/CC
- Cour d’Appel de Saint Denis, 20 novembre 2014, N°13/00732
- Cass crim., 30 mars 2016, N°14-88390
- Cour d’Appel de Saint Denis, 15 décembre 2016, N°16/00384
- Cass crim., 23 mai 2018, N°17-81376
Petite précision factuelle. Un dossier médical anonymisé de cette affaire a été déposé au parquet par un représentant du personnel du l’hôpital concerné, ceci en fonction de l’article 40 évoqué. Apparemment, sans suite. Une faillite supplémentaire, de la justice cette fois ?
Autre précision, ce dépôt a valu à ce représentant du personnel un conseil de discipline et un blâme… Une autre procédure pour harcèlement morale est donc en cours.