L’affaire Benalla est l’occasion de s’interroger sur la réaction de l’Exécutif et sa politique pénale face à la violence dans le contexte professionnel.
Les indignations des opposants au Président, aussi bien chez les Républicains qu’au PS notamment, ne sauraient faire oublier qu’au pouvoir ils n’auraient sans doute pas agi très différemment comme le montrent les politiques publiques conduites et décisions passées.
Il y a en effet une mansuétude lorsque la violence, qui peut être physique ou morale, émane de l’employeur ou son préposé et au contraire une dureté lorsque cette violence émane de salariés ou de leurs représentants.
La sanction légitime de la violence contre l’employeur
Ces dernières années plusieurs salariés ont été sanctionnés à raison pour violence envers l’employeur dans des dossiers plus ou moins médiatisés. Il y a eu des licenciements et le cas échéant des poursuites pénales.
Retour bref sur deux affaires récentes symptomatiques : Air France et Goodyear.
Le cas Air France
Quatre ex-salariés d’Air France, dont l’un avait été relaxé en première instance, ont été condamnés le 23 mai 2018 pour violences à des peines de 3 à 4 mois de prison avec sursis. La cour a également confirmé les peines d’amende de 500 euros infligées à huit autres prévenus également poursuivis pour des dégradations commises le 5 octobre 2015, jour où 1.500 salariés avaient défilé contre un projet de restructuration menaçant 2.900 postes. La manifestation avait dégénéré et dans la cohue, le DRH et le directeur long-courrier du groupe avaient été pris à partie, ainsi que des vigiles assurant leur protection. Les images des deux cadres prenant la fuite, chemise arrachée ou en lambeaux, ont fait le tour du monde.
Dans l’affaire Air France pour laquelle un pourvoi en cassation a été annoncé, le premier ministre de l’époque avait qualifié de voyous les salariés :
Le cas Goodyear
Condamnés en première instance à de la prison ferme, huit ex-salariés de l’usine Goodyear Amiens-Nord ont été condamnés à des peines avec sursis ou relaxés le 11 janvier 2017. Ils étaient jugés pour la séquestration, en 2014, de deux dirigeants de leur usine : un des salariés a bénéficié d’une relaxe totale, quatre ont été condamnés à un an de prison pour « séquestration », et trois ont été condamnés à deux ou trois mois de prison pour « violences en réunion ». Les 6 et 7 janvier 2014, le directeur des ressources humaines et le directeur de la production avaient été séquestrés pendant plus de 24h dans les locaux de l’usine de pneumatiques, occupée par des salariés en colère après l’annonce de la fermeture du site. La Cour de cassation a validé les peines d’emprisonnement avec sursis à l’encontre de sept salariés (Cass. crim. 24 janvier 2018, n° 17-80940 D). La Cour de cassation confirme
- la condamnation pour séquestration (c. pén. art. 224-1) de quatre des prévenus pour leurs actes ayant pour effet de priver le directeur de l’établissement et le DRH de leur liberté d’aller et venir ;
- La condamnation de trois salariés du chef de violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de 8 jours.
Ces deux affaires montrent une position inflexible à l’égard des salariés qui font preuve de violence et cela est heureux.
A contrario l’affaire Benalla montre une mansuétude lorsque ce sont des salariés qui sont victimes de violence de l’employeur ou un de ses préposés.
L’impunité illégitime de la violence d’un proche du Président de la République révélatrice d’une mansuétude pour la violence qui émane de l’employeur
Les administrations compétentes informées n’appliquent pas l’article 40 d’autant que le Parquet, qui reçoit les instructions générales de la Chancellerie, n’est pas incliné à sévir contre les employeurs au nom de la liberté d’entreprendre.
L’article 40 inappliqué
L’article 40 du Code de Procédure Pénale dispose que Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.
Dans les faits il peut être constaté que les autorité constituée, officier public ou fonctionnaire font trop souvent preuve d’une carence coupable lorsqu’elles ont connaissance d’un délit, ce que l’on comprend avec l’affaire Benalla qui lève le voile sur la corruption dans l’administration française, qui ne remonte pas à Emmanuel Macron. Pour preuve quelques exemples :
- condamnation pour harcèlement moral d’un établissement hospitalier en la personne de son directeur, agissant pour le compte de celui-ci, ayant engagé la responsabilité pénale de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal, avec mépris profond de l’article 40 du code de procédure pénale par 2 services d’inspection de l’Etat et la tutelle administrative informés d’une faute médicale mortelle étouffée en 2002 ;
- condamnation de Jérôme Cahuzac pour une affaire où il est apparu que l’article 40 n’avait pas été appliqué ;
- …
Les classements sans suite et le manque de moyens
Les plaintes de l’inspection du travail ou des salariés sont quasiment systématiquement classées faute d’instructions générales de poursuite des employeurs commettant des délits à part le travail dissimulé. Une enquête qui date de 2010 a montré que moins de la moitié des procédures transmises au parquet par les agents de contrôle ont fait l’objet de poursuites devant un tribunal correctionnel, que quand un employeur est poursuivi au pénal, il est relaxé dans 25% des cas, que moins du tiers des entreprises pour lesquelles les inspecteurs ont dressé un P-V ont été condamnées devant les tribunaux et que les sanctions prononcées sont relativement légères (Article paru dans Santé & Travail n° 070 – avril 2010).
A cela s’ajoute le manque de moyens donnés à la justice et la police.
Au delà de la violence, alors que le salarié peut être licencié sur des prétextes bidons (petite erreur de caisse, récupérer un parapluie cassé abandonné sur le sol …) la gestion de l’affaire Benalla par ceux là même qui ont prôné la réforme du code du travail pour faciliter les licenciements entache leur crédit managérial.