Pour la réforme des retraites il faut être dans la confiance
On a parlé depuis plusieurs mois avant la crise sanitaire de la réforme des retraites avec une accélération début décembre 2019 par le début d’une grève irresponsable face à des promoteurs d’une réforme eux-mêmes irresponsables.
Présenté au départ comme un projet universel pour maîtriser les dépenses, un tel projet ne serait ni universel, ni responsable du point de vue de la gestion des finances publiques.
On est en droit d’imaginer que la facture va déraper faute d’avoir anticipé les implications de la réforme et on ne peut que qualifier d’incurie le fait de ne pas avoir été capable en deux ans de tractations avec les syndicats de présenter une étude d’impact incluant les impacts pour certains métiers du fait de prendre en considération toute la carrière pour le calcul de la retraite ou la pénibilité ou encore la mise à l’écart des seniors sur le marché du travail.
Le responsable de ce désastre est Jean-Paul Delevoye, peut-être trop accaparé par ses nombreuses activités parallèles découvertes pour conduire sérieusement la réflexion sur cette réforme systémique. Mais sont également co-responsables les syndicats qui n’ont pas vu venir les sujets et n’ont pas alerté des implications et conséquences de la réforme.
La bouffe devait être bonne lors des réunions… Trop bonne pour réfléchir.
Il était de la responsabilité de ceux qui gouvernent, sans changer les principes de la nécessité d’une réforme y compris l’âge pivot souhaité, de la suspendre début décembre pour repartir sur des bases saines, à commencer par la production d’une étude d’impact sérieuse préalable à toute discussion sérieuse. Nous n’étions pas à quelques semaines.
Au lieu de cela il y a eu des atermoiements, des contradictions anxiogènes au sein de la majorité, de la surenchère mortifère de syndicats parmi les plus rétrogrades…
Certes il y a finalement eu retrait pro-vi-soi-re-ment de l’age pivot à la grand satisfaction des dirigeants syndicats constructifs, plus connus sous le qualificatif de réformistes pour ceux qui les apprécient et de « jaunes » par ceux qui n’apprécient pas leur pondération i.e. UNSA et surtout CFDT. Mais les conditions posées d’entrée par le Premier Ministre en termes de délai et de financement sont telles qu’il est fort à parier que l’âge pivot reviendra d’ici quelques semaines et au galop.
Deux pistes que je n’ai pas entendues méritent d’être explorées.
- Une première piste serait de revenir à l’esprit du programme du président qui avait dit que « Un euro cotisé doit donner les mêmes droits pour tous » par la définition d’un coefficient de point retraite propre à chaque métier pour tenir compte de la pénibilité permettant d’accélérer la capitalisation (le mot est provocateur !!!) de la retraite par points . Cette solution aurait le mérite de prendre en considération d’une part l’évolution des carrières et changements de métiers au long de la vie professionnelle et d’autre part la pénibilité.
Par exemple pour des métiers sans pénibilité particulière il y aurait 100% du point et pour des métiers avec pénibilité avérée majoration jusqu’à 120% du point. Cette approche aurait le mérite de prendre en considération le changement de métiers au long de la vie professionnelle (passage d’un métier sans pénibilité à un métier avec pénibilité et vice-versa) et de donner une visibilité ceteris paribus (projection à date sans tenir compte d’un possible changement de métier entraînant un changement de coefficient).
- Une seconde piste serait de revenir à l’esprit qui avait présidé à la mise en place du système de retraite par cette fois la mise en place une solidarité intergénérationnelle inversée car aujourd’hui les retraités sont plutôt plus nombreux et mieux payés que les actifs, ce qui était plutôt l’inverse en 1945, le système ayant alors permis de verser des retraites à des personnes n’ayant jamais cotisé.
Par exemple, on pourrait instituer, au delà d’un niveau de retraite à définir, l’assujettissement à des « charges salariales » pour financer les retraites futures (voire l’assurance chômage) des actifs actuels, indépendamment de CSG et CRDS. Tous les syndicats, réformistes et rétrogrades, comme tous les partis d’opposition, vont sans doute couiner face à une pareille idée, mais cela serait cohérent avec la réalité économique et sociale actuelle pour autant que l’Exécutif, échaudé par la maladresse de la hausse de la CSG telle qu’elle avait été faite et le rétropédalage qui s’est ensuivi, ne fasse pas de clientélisme électoral eu égard à la sociologie électorale de la majorité.
En campant en réalité sur une position inflexible osant pour la majorité invoquer le vote des Français en 2017 pour le programme du Président de la République en fait justificatif, il est clair qu’il y a intention de faire passer une réforme mal préparée qui aura coûté à l’économie par la grève irresponsable qui finira par s’arrêter mais aussi qui coûtera à l’économie par les nombreuses concessions in fine au métiers spé-ci-fi-ques (le mot magique pour ne plus parler de régimes spéciaux).
Quoi qu’il en soit, l’on peut redouter, après la réforme du code du travail et notamment l’introduction du barème aux Prud’hommes, après la réforme de l’assurance chômage, après la gestion perfectible des « gilets jaunes »…, que cela exacerbe le vote pour les extrêmes en 2022, le citoyen électeur ne voyant pas d’autre solution que le vote protestataire pour se faire entendre après qu’on lui ait dit et répété pendant le quinquennat qu’avoir voté pour le Président de la République c’est avoir approuvé son programme. La réalité est plus… subtile.