Alors que la loi controversée sur le secret des affaires est entrée en vigueur que chaque jour la loi Sapin de soi-disant protection des lanceurs d’alerte montre ses limites, il est utile de revenir sur une tendance des entreprises ces dernières années de menacer de porter plainte pour diffamation ou dénigrement voire de porter effectivement plainte pour faire taire le messager même s’il n’y a pas conflit de loyauté.
Cela porte un nom : les procédures bâillons, même en l’absence de conflit de loyauté.
Que sont les procédures bâillon ?
Cette dérive est apparue aux Etats-Unis il y a une trentaine d’années sous le nom de SLAPP (Strategic Lawsuit against Public Participation), soit, en français, Poursuite Stratégique contre la Mobilisation Publique, que l’on appelle plus simplement « poursuite-bâillon » ou « procédure bâillon ». Faire taire et ne pas se remettre en question.
Longtemps ce sont les médias, associations, ONG ou les « lanceurs d’alerte » qui ont été mis en causes, mais à présent avec le développement des réseaux sociaux ce sont les simples particuliers qui relaient de l’information et, ce qui est plus grave, les professionnels qui commentent sans la moindre animosité une situation d’entreprise à la lumière de leur expertise sans conflit de loyauté.
Le phénomène s’est avéré inquiétant au point qu’un rapport a été rédigé, à la demande de M. Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par une commission composée de Camille Broyelle, professeur de droit public, Emmanuelle Filiberti, présidente directrice générale du groupe Lextenso, Valérie Malabat, professeur de droit privé, Yves Surel, professeur de science politique, et Denis Mazeaud, professeur de droit privé président de la commission.
Dans ce rapports plusieurs cas de mise en cause de professionnels académiques sont évoqués : qui spécialiste de l’éthique en droit des affaires, qui professeur de droit constitutionnel, qui professeur de littérature, qui professeur d’économie, qui professeur de droit spécialiste en arbitrage, qui professeur de droit privé spécialisé en droit de l’environnement, qui professeur de science politique, qui professeur agrégé de droit, spécialiste de droit de l’arbitrage.
Et la commission de souligner l’enjeu pour la liberté d’expression et de faire un benchmark avec d’autres pays (Allemagne, Italie, Argentine, Brésil, Québec, Cameroun) avant de formuler des propositions (Lire le « Rapport sur les procédures bâillon » de la commission).
Rien de sérieux n’a été fait à part une Circulaire du MENESR du 9 mai 2017 sur la « protection fonctionnelle en cas d’
Comment réagir aux menaces ?
C’est sous un angle professionnel et d’enseignement universitaire en management, n’étant ni association, ni lanceur d’alerte, ni ONG, ni simple particulier, que je voudrais formuler quelques observations ayant fait moi-même l’objet d’une menaces de plainte libellée comme suit pour mes propos mesurés sur ce blog : sans animosité et prouvables par des écrits de tiers sans conflit de loyauté :
A défaut de supprimer l’intégralité des contenus diffamatoires, dénigrants et calomnieux à l’égard de ma mandante SOUS HUITAINE, j’ai mandat de déposer une plainte pénale pour ces faits auprès de Monsieur le Procureur de la République.
S’agissant de diffamations publiques, au plan pénal, une peine d’amende de 12.000,00 euros est encourue.
En tant que de besoin, le Juge des Référés sera également saisi pour faire supprimer les contenus illicites.
Ma cliente se réserverait également la possibilité d’agir au plan civil, en sollicitant sa condamnation au versement de dommages et intérêts.
J’ai immédiatement retiré les propos contestés MAIS, pour ne pas que ce retrait soit interprété par l’entreprise comme un « aveu de culpabilité » de ma part pour son accusation de diffamation, dénigrement et calomnie, j’ai saisi le Parquet pour porter plainte contre X sur le fondement de l’article 40 du Code de Procédure Pénale, qui dispose que Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner, avant de me porter partie civil : j’ai motivé, démontré, argumenté, prouvé en tant que professionnel mes propos mesurés qui avaient été qualifiés de diffamatoire, dénigrant et calomnieux.
L’instruction a été clôturée et j’ai demandé le CD de la procédure dont l’analyse m’a amené à formuler des observations circonstanciées au juge d’instruction sans conflit de loyauté.
Gageons que cette entreprise et sa direction, comme toutes les entreprises et directions incapables de se remettre en question, risque de connaître un bad buzz dans les prochains mois de son seul fait.