Le Président de la République Emmanuel Macron a fait un long discours le 9 juillet 2018 devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles.
Sans entrer dans les polémiques stériles sur le « président des (très) riches » (affaire de la piscine, affaire de la vaisselle…), sur le « pognon de dingue » que coûte l’organisation du Congrès à Versailles, sur le fond et la forme du discours, sur le selfie de certains de certains ministres il est vrai décalé pour ne pas dire déplacé eu égard à la situation du pays…, polémiques alimentées par une classe politique médiocre à droite et à gauche et par des journalistes dépourvus d’objectivité qui s’écoutent parler, je voudrais revenir sur des mots ou expressions que j’ai cherché en vain dans le verbatim du discours disponible sur le site de l’Elysée.
Ces mots ou expressions absents, par ce qu’ils induisent au plan pratique, me paraissent importants pour la réussite du Président de la République Emmanuel Macron dont je n’ai pas été un soutien mais dont je suis prêt à l’être sans faire partie des flatteurs qui l’entourent sans esprit critique.
Sans être exhaustif, je vais en énumérer et en commenter ci-après quelques-uns.
Administration(s)
Le mot fonctionnaire comme l’expression « fonction publique » sont également absents même si le sujet est évoqué lorsque le Président de la République évoque une réorganisation de l’Etat à travers plus de présence sur les territoires, plus de souplesse de gestion, laissant entendre une réforme dans l’esprit de la révision générale des politiques publiques (RGPP) sous le mandat de Nicolas Sarkozy puis la modernisation de l’action publique (MAP) sous le mandat de François Hollande.
J’aurais aimé un rappel des principes de service public trop souvent oubliés dans les administrations marquées par des jeux politiques de « l’ancien monde » qui n’ont pas été brisés par l’arrivée d’Emmanuel Macron.
Pour exemple, une subvention conséquente de 300 KE conditionnelle accordée sur fond d’agression au travail par l’ARS de Lorraine à un établissement privé dans un arrêté pour les soins au numéro manuscrit, que je n’ai pu trouver au Recueil des Actes Administratifs (ARS/DT57 N°2010-498 du 22 décembre 2010), pour une acquisition immobilière au total avec 100% d’argent public sans que les engagements vis à vis de la tutelle n’aient été respectés.
De tels exemples impunis, qui ne manquent pas, renvoient à la gestion de l’argent public.
Argent public
L’expression « l’argent public » est manquante.
Il y a une gabegie d’argent public en période de déficit public relevée de manière désespérante notamment par la Cour des Comptes et les Chambres Régionales des Comptes chaque année.
J’aurais aimé l’introduction d’une responsabilité réelle pécuniaire des politiciens et responsables de l’administration pour leurs turpitudes financières avec nos impôts en toute impunité.
S’agissant de la SNCF il n’y a en réalité pas de gloire à avoir mené la réforme face à des oppositions n’étant pas des mêmes réseaux. C’est tout autre de chose de prendre ses responsabilités par la sanction face à des (hauts) fonctionnaires ou politiciens sans talent, sans effort, sans mérite, qui ont failli mais issus des mêmes réseaux, même s’il a été affirmé : Le modèle français que je veux défendre exige que ce ne soient plus la naissance, la chance ou les réseaux qui commandent la situation sociale, mais les talents, l’effort, le mérite.
Bénéfices
L’absence du mot bénéfice, comme celle du mot profit (Cf. infra) ou celle de l’expression « valeur ajoutée » (Cf. infra) est très étonnante.
Certes la question des mesures en faveur des entreprises est abordée par raccroc mais il n’est point mis l’accent sur l’importance des bénéfices pour que les entreprises puissent faire des projets pour leur pérennité : projets d’investissement, de modernisation, de formation.
Burnout
Alors que le burnout, comme les « risques psycho-sociaux » (le sujet des risques psychosociaux a été ignoré) et le harcèlement (mot limité aux femmes dans le discours), s’avèrent des fléaux qui ont un coût pour la collectivité (mot absent limité aux collectivités locales dans le discours) et résultent souvent de dérives managériales inacceptables, il n’y a aucune empathie sur ces questions.
Civisme
Le mot civisme n’est pas cité alors qu’il est au cœur du contrat social pour le vivre ensemble. Tous les jours il est constaté des incivilités et les politiciens ne sont pas les derniers à donner le mauvais exemple.
Corruption
L’absence du mot corruption comme celle du mot moralisation (Cf. infra) est étonnante dans un pays qui ne se classe qu’à la 23ème place dans le classement de Transparency International (Indice de perception de la corruption 2017 rendu public le 21 février 2018)
Discrimination
Il est question de la discrimination envers les femmes mais point des autres discriminations tout aussi inacceptables qui se voient tous les jours dans le monde du travail aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. La lutte contre ces discriminations est pourtant au cœur du contrat social pour le vivre ensemble.
Droit du travail
Alors que les ordonnances de réforme du droit du travail ont constitué le premier acte fort du gouvernement, il n’est point question dans le discours de droit du travail et/ou de code du travail ni même de licenciement. Des esprits chagrins syndicalistes pourraient y voir le signe que le code du travail n’existe plus, ces spécificités ayant été supprimées pour un alignement sur le droit commun du code civil (par exemple en matière de péremption, en matière contractuelle…).
Entreprise(s)
Le mot entreprise(s) fait l’objet de 21 occurrences contre 5 pour le mots salarié(s). Des esprits chagrins syndicalistes pourraient y voir le signe d’un mépris pour les salariés de la part d’un président qui n’est pas sur la question dans le « en même temps ».
Etat de droit
L’expression « Etat de droit » est absente, même si le sujet est évoqué par raccroc. Or il ne peut y avoir d’Etat de droit lorsque le citoyen perçoit des passe-droits pour les politiciens (procédures plus rapides pour certains que pour d’autres, enlisement de procédures…) et que les moyens de fonctionnement ne sont sciemment pas donnés à la justice et la police alors qu’il s’agit là de fonctions régaliennes de l’Etat. Certes des moyens sont évoqués pour la Police mais rien pour la Justice sinon une réforme de la procédure pénale.
Fraternité
Le mot fraternité rappelé naguère par le Conseil Constitutionnel au sujet de l’aide aux migrants est absent du discours alors qu’il fait partie de la devise de la République.
Les esprits chagrins de gauche pourraient y voir le signe du manque d’empathie pour autrui et d’une contrariété de réaliser qu’il y a un conseil constitutionnel et que l’exécutif n’est pas tout puissant.
Gouvernance
Le mot gouvernance est absent alors qu’il doit être au centre de la réforme de l’Etat pour mettre un terme à la gabegie et la médiocrité coûteuse dans les administrations et au centre des attentes de la part des entreprises dont on attend un comportement responsable.
Hôpital / hôpitaux
Si le mot santé fait l’objet de 10 occurrences il n’est point question de l’hôpital qui connait une crise sans précédent menaçant le pacte social : burnout, suicides, déficits, fautes médicales, manque de moyens…
La ministre Agnès Buzyn ne peut ignorer une décision de justice du 23 mai 2018 (Cass. crim., 23 mai 2018, N° de pourvoi: 17-81376) qui ouvre une boite de Pandore dans un contexte de burnouts voire de suicides de personnels hospitaliers. Il ne s’agit pas d’une jurisprudence mais de l’application stricte des textes, les juges ayant relevé une faute d’un organe du centre hospitalier en la personne de son directeur, agissant pour le compte de celui-ci, ayant engagé la responsabilité pénale de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal. Derrière cette faute, « l’arbre des causes » fait apparaître une série de dysfonctionnements sous « l’ancien monde », mettant sans doute en cause certains de ceux consultés pour la réforme de la santé qui ont failli voire menti, ce qui renvoie aux jeux politiques dans les administrations, évoqués supra.
Lien vers articles :
- article de MMS :« Un arrêt de la Cour de Cassation révèle une succession de dysfonctionnements des administrations sur un cas de « harcèlement moral » à l’Hôpital »
- Article du blog Qualitiges : « La certification hospitalière est une farce qui prêterait à rire si les inconséquences n’étaient pas graves »
Moralisation
L’absence du mot moralisation est d’autant plus étonnante qu’il y a eu une loi, il est vrai trompeuse puisqu’elle n’a pas posé le principe de l’inéligibilité des élus n’ayant pas de casier judiciaire vierge alors qu’il s’agissait d’un engagement de campagne. L’argument d’une supposée censure du Conseil Constitutionnel ne tient pas la route dès lors qu’une exigence de casier judiciaire vierge est posée pour de nombreuses professions publiques ou privées.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet avait expliqué devant l’hémicycle que l’interdiction pour les personnes n’ayant pas un casier judiciaire vierge, de se présenter à une élection de façon automatique porterait atteinte «au principe de nécessité des peines» garanti par l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Elle a également estimé que la mesure serait contraire au principe d’«individualisation des peines». Si cela est vrai, on ne peut qu’inviter les professions pour lesquelles cette exigence est maintenue à saisir le Conseil Constitutionnel d’une telle entorse aux droits de l’homme dans notre droit positif…
PME-TPE
Le président a annoncé vouloir recevoir les 100 premières entreprises françaises – celles qui pratiquent « l’optimisation fiscale » – afin de solliciter leur engagement dans les défis qui nous attendent. Si le mot entreprise(s) fait l’objet de 21 occurrences, il n’est point question des PME-TPE alors que ce sont elles qui créent les emplois. Les coupes budgétaires annoncées dans les CCI vont directement impacter le soutien à ces PME-TPE.
Pouvoir d’achat
Il y a une occurrence sur l’expression « pouvoir d’achat » pour dire que la réforme a permis d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs. Mais cette assertion est démentie par une étude du Ministère du travail titrée « Évolution des salaires de base par branche professionnelle en 2017 : Une moindre hausse du salaire réel dans un contexte de négociation salariale soutenue » parue le jour du discours
Profit
Le terme profit, comme le terme bénéfice, est absent. Le président de la République a oublié le « théorème d’Helmut Schmidt » selon lequel « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».
Même si ce mantra, davantage politique qu’économique, est contesté il a une logique qui peut être dévoyée faute de régulation, autre terme absent du discours.
Régulation (hors travail détaché)
Le président ne parle de régulation que pour le travail détaché. Mais l’enjeu de la régulation ne se limite pas à cela. La régulation est nécessaire en particulier en France où les comportements naturels sont perfectibles : ainsi dans le partage de la « valeur ajoutée » (autre expression absente du discours !) il y a un problème en France où Oxfam a montré une démesure en faveur des actionnaires par rapport aux autres pays.
Autre symptôme, les associations se sont émues de la baisse des dons dans la foulée de la suppression de l’ISF : les dons aux associations auraient ainsi diminué de 50% selon le président de France Générosités. Quand on connait le rôle des associations pour pallier aux carences de l’Etat cette situation est très préoccupante et pourrait conduire à une insurrection redoutée par Alain Minc : «L’inégalité est trop forte, nous risquons une insurrection».
Gouverner c’est prévoir et là, manifestement, l’étude d’impact n’a pas anticipé la conséquence délétère pour le pacte social.
Salarié(s)
Le mot salarié(s) fait l’objet de 5 occurrences contre 21 pour le mot entreprise(s), ce qui ne peut que renforcer le sentiment de manque d’intérêt pour les salariés.
Seniors
Dans son discours, le Président de la République ne dit pas un mot sur les seniors directement touchés par les licenciements (dont il ne parle pas) et les réformes des retraites obligeant à travailler plus longtemps ce qui n’est pas en soi incohérent avec l’augmentation de l’espérance de vie.
Il a beaucoup parlé de formation (22 occurrences) et d’apprentissage (6 occurrences). Or les politiques ciblées font vase communiquant et tout ce qui sera fait en faveur des jeunes sera au détriment des seniors.
On voit là les limites du « en même temps » par ces oublis de sujets importants pour la cohésion de la nation. En voulant être de droite et de gauche le Président finit par être nulle part et passer à côté de l’essentiel dans un discours fleuve où il se noie et noie son auditoire !
Ces observations ont fait l’objet d’un courrier à la Présidence de la République : Lettre PR Emmanuel Macron 12 juillet 2018.