Plafond prud’hommes : la confusion.
Ouf ! le plafond prud’hommes est institué. Le barème dans les litiges devant le conseil des prud’hommes, imposé par ordonnance et entériné par le législateur, est passé : la Cour de Cassation a rendu un avis qui confirme sa conformité aux textes internationaux mise en doute par les opposants à ce barème quand de manière concomitante un rapport émanant du Sénat était rendu public pour proposer des pistes de réforme des Prud’hommes.
La pratique montre que ce plafond prud’hommes est plus complexe dans la mise en oeuvre.
Si les employeurs responsables ont besoin d’un cadre légal flexible (il ne l’était et il ne l’est sans doute pas pas encore assez), le corollaire est la sanction implacable de ceux transgressifs qui dévoient le pouvoir hiérarchique et disciplinaire et des médecins du travail, IRP ou fonctionnaires ou juges qui manquent à leurs devoirs.
Or force est de constater que cette sanction est inexistante.
Sous prétexte de la « politique de l’offre », l’Etat laisse les employeurs faire n’importe quoi, ce qui ne sert pas les intérêts de la collectivité et des employeurs responsables au sens de la RSE.
Quelques mesures fortes à faire entrer dans la loi et le règlement sont indispensables pour sanctionner les situations qui n’ont rien à voir avec un pouvoir de direction légitime : il y a des mesures relatives aux IRP et au médecin du travail, des mesures relatives à l’Inspection du travail et des mesures relatives aux juridictions qui connaissent des litiges entre employeurs et salariés.
La responsabilisation des IRP et du médecin du travail
Il convient de responsabiliser les IRP et les médecins du travail dans les dossiers de harcèlement et violence et d’accélérer la réparation pour la victime avec sanction de toute la chaîne de responsabilité.
L’employeur est tenu à une obligation de sécurité très large par l’article L 4121-1 du code du travail, qui dispose que « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».
L’article L4121-2 du code du travail, qui précise les principes généraux de prévention, dispose que : « L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »
Cette obligation de sécurité était même devenue une obligation de résultat, parfois injuste puisque l’employeur avait toujours tort, jusqu’à ce qu’un arrêt du 25 novembre 2015 permette à l’employeur de faire valoir ses diligences de sécurité face à un salarié qui met sciemment en échec l’obligation de prévention par l’employeur (Cf. Cass. Soc, 25 novembre 2015, N°14-24444, FP-P+B+R+I) : ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Désormais, si l’entreprise peut prouver qu’elle a fait toutes les diligences de sécurité, elle peut être exonérée de sa responsabilité. On peut ainsi dire qu’une obligation de moyens renforcés s’est substituée à l’obligation de résultat impérative.
La question que l’on peut également se poser est celle d’une coresponsabilité des salariés représentants du personnel voire du médecin du travail car il est des cas où il est injuste de tout faire reposer sur le seul dirigeant pour les turpitudes des représentants du personnel voire du médecin du travail.
Indépendamment de la situation qui existe où c’est l’employeur ou le responsable hiérarchique lui-même qui est victime de harcèlement ou violence de subordonnés et/ou IRP (Cf. « Manager harcelé, défendez-vous et parlez-en ! », Cadres & Dirigeants Magazine, 13 novembre 2015), la pratique des entreprises permet en réalité de distinguer trois situations :
- L’employeur a manqué à son obligation de sécurité malgré des représentants du personnel et un médecin du travail qui ont fait toutes les diligences pour l’alerter. Il est seul responsable.
- L’employeur a manqué de bonne foi à son obligation de sécurité avec carence des représentants du personnel voire du médecin du travail par rapport aux obligations de leur mandat voire dévoiement de leur mandat. Peut-être dans ce cas devrait-il y avoir substitution de responsabilité.
- L’employeur a manqué sciemment à son obligation de sécurité avec la complicité de représentants du personnel voire du médecin du travail par leurs omissions voire leurs actions. Il y a coresponsabilité mais avec sans nul doute une responsabilité spéciale aggravée des représentants du personnel et du médecin du travail : s’il y a une cohérence pour une direction à défendre ses intérêts contre un salarié (mais dans la limite du respect du droit voire de la morale qui ne se recoupent pas !), en revanche des salariés protégés et un médecin du travail auront toujours tort d’être aux côtés de la direction contre une victime surtout que cette duplicité portera atteinte aux intérêts de l’établissement à un moment ou un autre.
Il conviendrait de renforcer l’exigence d’exemplarité des représentants du personnel, qui auront toujours tort de :
- soutenir un mauvais comportement souvent de la hiérarchie sans qu’il y ait un quelconque pouvoir de direction pour exonérer leur responsabilité de laisser mal agir la personne morale de l’employeur ou de
- mal se comporter eux-mêmes, avec une circonstance aggravante pour ceux soumis à des règles professionnelles déontologiques de morale ou d’honorabilité (par exemple un médecin).
Le législateur devrait introduire la possibilité de déchéance du mandat voire d’inéligibilité des salariés protégés ayant manqué aux devoirs de leur mandat voire permettre à la personne morale victime de représentants du personnel manquant aux devoirs de leur mandat de pouvoir licencier de droit de tels représentants, avec un délai de prescription allongé.
L’avis du médecin du travail s’impose aux parties et au juge (Cass. Soc., 10 novembre 2009, N° 08-42674, FS-P+B+R) : l’article 28 du Code de déontologie médicale (R 4127-28 du Code de la santé publique) dispose que la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite.
Le rôle des médecins du travail dans leur ensemble est utile à l’entreprise comme aux salariés (Cf. Ramaut (D.), Journal d’un médecin du travail. Paris, Le Cherche Midi, 173 p.).
Mais, alors que des organisations patronales ont le souci de leur obligation de résultat en matière de santé et sécurité au travail, le médecin du travail qui manque à ses devoirs par l’inaction voire le déni des faits comme le silence dans un avis d’inaptitude sur de la violence reconnue officiellement doit être sanctionné.
L’administration devrait pouvoir traduire systématiquement devant le Conseil de l’Ordre les médecins qui ont failli ou menti par action ou omission dans un certificat de complaisance, se fiant uniquement aux dires d’une partie – employeur ou salarié – sans esprit critique et/ou vérification. La partie victime, employeur ou plus rarement salarié, peut engager la responsabilité du médecin (Cf. les articles de Marie Content « Un médecin du travail désormais responsable ? », http://business.lesechos.fr, 26 mars 2014, Aurélie Dumartin, « Médecin du travail et procédure d’inaptitude : l’employeur peut engager la responsabilité du service de santé au travail en cas de défaillances » http://www.village-justice.com, 6 mars 2014 et, antérieurement à la décision du 26 juin 2014 et Eric Rocheblave, « Employeurs, défendez-vous contre les médecins délivrant des certificats médicaux tendancieux ou de complaisance », http://rocheblave.com, 10 mai 2014) sans délai opposable (Décision n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011).
La sanction de l’administration compétente défaillante
L’arrêt Gaillard Bans (Conseil d’État, 3 octobre 1997, N° 161520) permet de déduire que, dans une hypothèse de signalement d’infractions précises, nombreuses et graves, l’inspecteur du travail serait privé de son pouvoir de libre décision et serait dans l’obligation d’aller constater la matérialité des infractions et de les relever par voie de procès-verbal.
La carence n’est pas sanctionnée alors qu’elle devrait l’être. Cela doit être sanctionné par la révocation.
La réalité actuelle est que l’inspecteur du travail qui n’agit pas sera davantage soutenu par sa hiérarchie que l’inspecteur qui agi qui sera même désavoué dans certains cas.
Par ailleurs, dans un rapport il est inacceptable que l’inspection du travail fasse silence sciemment sur des faits qu’elle ne peut ignorer. Cela doit être sanctionné par la révocation.
Les juridictions
Un employeur de bonne foi ne devrait pas être condamné, ou être condamné seulement symboliquement.
Cette approche n’est pas la même que celle du barème.
Un chef d’entreprise a apporté un témoignage (Cf. « Embarqué aux prud’hommes, condamné en appel: ne comptez plus sur moi pour embaucher », http://lentreprise.lexpress.fr, 12 octobre 2015) d’une situation ubuesque face à un salarié déloyal : ce salarié, par ailleurs vacataire à l’université, a été recruté par l’Université sans démissionner de son emploi alors qu’il y a incompatibilité des contrats. Il a pris acte de sa rupture au bout de trois mois voulant qu’elle soit assimilée à un licenciement abusif et a demandé aussi des rappels de salaire alors qu’il n’avait jamais émis la moindre observation sur sa rémunération.
« Alors qu’en premier ressort, le départ du salarié a été jugé comme une démission, en appel, les juges ont décidé qu’il s’agissait d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse !!! Nous avons aussi été condamnés à payer des rappels de salaire. Au total, entre les compléments de salaires, les charges patronales, les indemnités conventionnelles de licenciement, les dommages et intérêts pour licenciement abusif… ma société a été condamnée à presque 100.000 €, soit quasiment son chiffre d’affaires annuel ! Une somme astronomique pour la TPE de 4 personnes que nous sommes. Au-delà du choc « judiciaire » auquel nous avons été confrontés, cette condamnation nous plonge dans une situation financière dangereuse »
L’employeur a renoncé à se pourvoir en cassation.
Un employeur de mauvaise foi doit être condamné lourdement et ne saurait bénéficier d’un plafond prud’hommes
La mauvaise foi résulte de la production de faux grossiers, du refus de concilier alors qu’il y a eu faute…
Il faudrait sans doute codifier les jurisprudences du juge administratif et du juge judiciaire pour limiter l’aléa pour le justiciable, employeur ou employé. Les mauvais avocats des employeurs peuvent être tentés de tromper la religion du juge en invoquant des jurisprudences caduques (loi ou jurisprudence opposés postérieures) y compris par leur production en pièces comme acte positif ce qui peut être vue comme une escroquerie au jugement. Il est une chose de dire n’importe quoi dans ses écritures, il en est une autre de crédibiliser par une pièce matérielle en preuve.
Quelques sujets dégagés par la jurisprudence sont à codifier : la répartition entre juge administratif et juge judiciaire, la répartition entre juge prud’homal et TASS…
Les faits qui peuvent motiver l’une des peines applicables aux conseillers de prud’hommes ne sont pas seulement ceux qui auraient été commis dans l’exercice même de fonctions juridictionnelles ou d’administration du conseil de prud’hommes, mais aussi ceux qui, commis en dehors de ce cadre, révèlent un comportement incompatible avec les qualités attendues d’une personne investie de la fonction de juger et qui sont susceptibles de jeter le discrédit sur la juridiction à laquelle elle appartient : il en est ainsi d’une complicité de discrimination syndicale (CE, 20 mai 2011, N°332451.), comportement incompatible avec les qualités attendues d’une personne investie de la fonction de juger, en particulier ses obligations de neutralité et d’impartialité, et qui sont susceptibles de jeter le discrédit sur la juridiction à laquelle il appartient (Cf. CE, N°332451, 20 main 2011). La révocation doit être immédiate pour le conseiller, souvent employeur, manquant aux devoirs attendus d’une personne investie de la fonction de juger dans son entreprise d’origine.
Au-delà des Prud’hommes peut être conviendrait-il de fusionner le Conseil de Prud’hommes et le TASS, qui sont très voisins, pour créer une nouvelle juridiction de premier degré : le Tribunal du Droit Social. En revanche le TCI a un caractère technique et doit donc conserver sa spécificité. Dans la pratique pour le manquement à l’obligation de sécurité notamment il peut y avoir interférence entre le TASS et le Conseil de Prud’hommes avec risque de déni de justice, ce qui serait résolu par une juridiction unique.
Il y a comme une compréhension de la justice pénale à l’égard de ce qui se passe de contraire à la loi dans les entreprises. Au final, l’employeur qui ne respecte pas la loi s’en sort plutôt bien. La plupart des plaintes sont en effet classées sans suite, et si l’affaire suit son cours devant les juridictions, les condamnations ne sont pas à la hauteur de la gravité des dossiers quand il n’y a pas relaxe. L’enjeu de l’emploi et l’absence d’instruction générale du ministère pour faire primer le droit dans les entreprises ne sont sans doute pas étrangers à ce constat.
Jamais la violence verbale et/ou physique ne peuvent être justifiées dans un sens comme dans l’autre.
Quelques règles simples pourraient régir le contentieux du travail
- L’employeur de bonne foi ne doit pas être condamné, ou l’être seulement symboliquement ;
- L’employeur de mauvaise foi doit être condamné lourdement : malitiis non est indulgendum ;
- Le salarié qui commet des violences physiques ou verbales ou des malversations au détriment de l’employeur doit être condamné lourdement.
Une victime reconnue, dès lors qu’elle utilise son droit de tout citoyen de demander au juge de vérifier si la loi a été respectée, ne devrait jamais être condamnée au titre des frais irrépétibles.
La justice doit être rapide : justitia dilata, justitia denegata