Alors que j’écris ces lignes , les dernières décrets de l’année relatifs à la réforme du code du travail par ordonnances sont parus et il est désormais possible de porter un regard sur ce qui a été présenté comme une « réforme MEDEF » voulue par des entreprises écoutées et entendues par le Président de la République Emmanuel Macron.
S’il y a certes des points de vigilance pour les salariés, la réforme s’avère plutôt trompeuse pour les entreprises.
Les points de vigilance pour les salariés
Les ordonnances et les textes qui se sont ensuivis s’inscrivent dans la suite des réformes sous le quinquennat Hollande avec les lois Sapin (loi N°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ), Rebsamen (loi N°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi), Macron 1 (loi N°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques) et bien sur El Khomri (loi N°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels), cette dernière loi ayant donné lieu à des manifestations et une pétition inédites, qui n’ont pas empêché la loi de passer par la voie de l’article 49-3 de la constitution. C’est peut être ce qui explique la résignation lorsque une nouvelle réforme du code du travail a été engagée par ordonnance (Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail et Ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social).
Ce tourbillon de réformes successives a créé la confusion dont les avocats peu rigoureux (Cf. le rapport de Institut des Hautes Etudes de la Justice selon lequel l’avocat français entretient un rapport avec la vérité assez relâché) ne se privent pas de jouer, notamment sur les délais de prescription et la péremption applicables selon la date de licenciement.
Pour ce qui est du droit aujourd’hui en vigueur, des éléments introduits par la dernière réforme appellent la vigilance et en particulier, l’introduction d’un plafond d’indemnisation, le délai de saisine et la demande des motifs de licenciement.
L’introduction d’un plafond d’indemnisation ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir des manquements graves qui n’entrent pas dans le barème. De tels manquements doivent être documentés au fil de l’eau par le salarié pour pouvoir réagir dès qu’il y a une procédure de licenciement engagée.
En effet le délai de saisine du juge a été réduit drastiquement : désormais toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit au bout d’1 an, délai porté à 5 ans en cas de harcèlement u discrimination, toute action en contestation de l’exécution du contrat de travail, se prescrivant par 2 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Enfin l’employeur n’a plus à justifier les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement, le salarié disposant de 15 jours seulement (sous peine de ne plus voir son licenciement reconnu « sans cause réelle et sérieuse » pour insuffisance de motivation de la lettre) pour demander les motifs sans obligation pour l’employeur, qui peut aussi prendre l’initiative de préciser les motifs, de faire droit à la demande du salarié (Cf. Décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement). Un décret est même allé jusqu’à proposer des modèles types de lettres de notification de licenciement (Décret n° 2017-1820 du 29 décembre 2017 établissant des modèles types de lettres de notification de licenciement).
Avec ce changement le salarié français se retrouve dans une situation pire que dans les salariés des pays frontaliers francophones : ainsi l’article L. 124-5 du code du travail luxembourgeois dispose-t-il que dans un délai d’un mois à compter de la notification du licenciement le salarié peut, par lettre recommandée, demander à l’employeur les motifs du licenciement et que l’employeur est tenu d’énoncer avec précision par lettre recommandée, au plus tard un mois après la notification de la lettre recommandée, le ou les motifs du licenciement liés à l’aptitude ou à la conduite du salarié ou fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service qui doivent être réels et sérieux. Et de préciser que à défaut de motivation écrite formulée avant l’expiration du délai visé à l’alinéa qui précède, le licenciement est abusif et que le salarié conserve le droit d’établir par tous moyens que son licenciement est abusif. Pour ce qui est de la Belgique (convention collective de travail N°109 concernant la motivation du licenciement), si les motifs du licenciement ne sont pas communiqués de manière spontanée, le salarié peut les demander par lettre recommandée, l’employeur ayant deux mois pour répondre à compter de la réception de la demande sous peine d’une amende civile forfaitaire égale à deux semaines de rémunération.
Paradoxalement, ce « permis de virer » envisagé par des fonctionnaires du ministère du travail qui ne savent pas ce qu’est le chômage et entériné par des parlementaire décérébrés est susceptible de perdre les employeurs à l’usage.
Une réforme en réalité plutôt trompeuse pour les employeurs
Si le corpus des réformes successives depuis la loi Sapin avec un catalyseur par les ordonnances peut donner le sentiment de faire le jeu des employeurs, la réalité sera sans doute nuancée dans la pratique.
Si les conseils de Prud’hommes ont pu être critiqués non sans raison par dans un passé récent par le GRECO qui écrivait « L’équipe d’évaluation du GRECO a recueilli des témoignages selon lesquels le mode de fonctionnement de cette juridiction soulevait des questions importantes, notamment sous l’angle des conflits d’intérêts et de l’impartialité (notamment car chaque groupe de juges bénévoles dé fend d’abord les intérêts catégoriels de ses électeurs), ou encore du manque de professionnalisme (un cas a été cité comme exemple typique de dysfonctionnements, dans lequel un avocat s’apprêtait à plaider une affaire devant un conseil composé de sa secrétaire fraîchement élue juge « (« Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs » Adopté par le GRECO lors de sa 62ème Réunion Plénière – Strasbourg, 2-6 décembre 2013), les conseils de Prud’hommes viennent d’être profondément renouvelés, et il faut donner crédit aux nouveaux juges de ne pas reproduire les travers qui ont pu être observés, même si l’on peut regretter que des juges ayant eu un comportement non compatible avec les qualités attendues d’une personne investie de la fonction de juger (mentir dans une procédure de récusation les concernant, couvrir du délit d’entrave…) n’aient pas été écartés dans la procédure de sélection, ayant simplement été déplacés de juridiction dans le Grand Est dans la grande tradition de l’administration française.
Cependant, le nouveau cadre pourrait avoir pour conséquence de pousser à la faute le mauvais employeur lui conférant un sentiment d’impunité qui ne pourra être « sauvé » par le barème.
Les échappatoires au barème sont nombreuses et, pour autant que les situations soulevées devant le juge ne soient pas galvaudées (fausses victimes de harcèlement moral et/ou sexuel, de discrimination…) et les dossier bien préparés, le barème ne sera pas opposable avec des employeurs qui n’auront pas pris soin de préparer sérieusement leur dossier de sanction étant désormais dispensés de motivation.
La politique publique à long terme sert les intérêts des actionnaires et de la finance, pas ceux des salariés ou des employeurs de l’économie réelle qui ont été influencé par les beaux discours qu’ils ont écoutés avec des idées qu’ils voulaient entendre.
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