La réforme de l’Etat : qui la fera vraiment ?
Dans la nuit du 4 août 1789 disparaissait l’ancienne France fondée sur le privilège et les vieilles structures de la féodalité : la réforme de l’Etat était là.
« Le peuple tout entier (…) cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles pèse sur sa tête ; et il faut l’avouer, Messieurs, cette insurrection quoique coupable (car toute agression violente l’est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l’avouer, que bien rarement coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d’affaires sont souvent sans pitié, et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsistent encore en France, gémit de la contrainte dont il est la victime», s’exclama à l’Assemblée le duc d’Aiguillon.
Aujourd’hui, au vu de ce que l’on appelle l’affaire BENALLA, dont les questions qu’elle soulève ne sauraient être réduites au Président et à ses proches par des oppositions de mauvaises foi qui n’ont pas eu un comportement plus vertueux lorsqu’ils étaient aux affaires, à l’exception des extrêmes fustigeant une « France d’en haut » : ils n’ont pas gouvernées et ne peuvent être tenues pour responsables des copinages qui font peser sur les citoyens depuis des décennies un joug insupportables et des vexations qui pourrait les amener au pouvoir..
Nous avons en 2018 de nouveaux propriétaires de fiefs et de terres seigneuriales en la personne de politiciens médiocres au plan national comme au plan local et de cadres de la haute fonction publiques. Il y a même une porte tambour entre la fonction publique et les fonctions électives de la République à part pour les candidats députés LREM désignés pour ne pas qu’ils exercent un rôle critique effectif de député (ils s’y sont même engagés !).
Ces nouveaux privilégiés politiciens et/ou fonctionnaires sont bien rarement coupables des excès dont se plaignent les citoyens lorsque la justice, volontairement dépourvue de moyens, est saisie, comme en témoigne le nombre de classement sans suite des plaintes ou les relaxes des dossiers les mettant en cause.
Alors que faudrait-il faire pour éviter l’insurrection que redoutent certains, à l’instar d’Alain MINC (interview à Libération le 8 juillet 2018 : « l’inégalité est trop forte. Nous risquons une insurrection »), qui pourrait se traduire par la victoire un parti extrême aux prochaines élections présidentielles par le rejet des partis des gouvernement ?
En finir avec « l’ancien monde », ce qui était précisément la promesse d’Emmanuel Macron, pour laquelle tout reste à mettre en œuvre.
Quelques pistes, non exhaustives mais ô combien symbolique, pour ce faire, dont « l’affaire BENALLA » aura eu le mérite de révéler la nécessité : d’une part le rétablissement du délit de forfaiture et d’autre part la sanction pénale de la non application de l’article 40 al.2 du CPP.
Rétablir le délit de forfaiture
Une forfaiture est l’infraction dont un fonctionnaire, un agent public, un magistrat ou une personne investie d’une mission de service public, se rend coupable dans l’exercice de ses fonctions en commettant des crimes ou délits qui violent les devoirs essentiels de sa charge.
Il existe une proposition de loi du député Franck MARLIN pour rétablir ce délit abrogé en 1994, ce qui a eu pour conséquence, alors que ce délit était une qualification générale qui embrassait un ensemble d’infractions dont seulement certaines faisaient l’objet d’une incrimination spéciale, d’aboutir à laisser de nombreuses infractions sans aucune sanction.
Si dans sa proposition de loi le délit est limité aux fonctionnaires, le rétablissement du délit de forfaiture doit pouvoir s’appliquer à tout fonctionnaire, agent public, magistrat ou personne investie d’une mission de service public, se rend coupable dans l’exercice de ses fonctions en commettant des crimes ou délits qui violent les devoirs essentiels de sa charge.
La sanction pénale de la non application de l’article 40 al. 2 du CPP
La non application de l’article 40 alinéa 2 du Code de Procédure Pénal, qui dispose que « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatif » pourrait entrer dans le délit de forfaiture dès lors que seul le Parquet à l’opportunité des poursuites.
Il y a eu une proposition de loi par le député Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, le 16 juillet 2013 dans la foulée de l’affaire CAHUZAC pour laquelle les travaux de la commission d’enquête parlementaire ont évoqué le sujet de l’article 40 (73 occurrences dans le rapport) M. Fabrice Arfi, journaliste, faisant observer que le non-recours à l’article 40 vous interroge vous, le législateur. Nous sommes en pleine hypocrisie française. Tout dépositaire de l’autorité publique qui est témoin d’une infraction, d’un délit ou d’un crime, est tenu d’alerter le procureur de la République, mais le non-respect de cette obligation n’est pas sanctionné. Il est donc très peu utilisé. Si la contrainte qui pèse sur les fonctionnaires et les sanctions qu’ils encourent étaient plus fortes, peut-être certains d’entre eux y auraient-ils eu davantage recours.
Les faits divers montrent en effet une propension courante à ne pas appliquer l’article 40 lorsque des délits sont portés à la connaissance de qui de droit.
C’est ce qui s’est passé dans un dossier que j’ai évoqué de condamnation définitive d’un hôpital : une famille n’a pas pu ester en Justice malgré des dysfonctionnements liés à mort d’homme validés à temps (avant l’issue du délai de prescription de l’action publique) par deux services d’inspection de l’Etat (DRASS et IGAS), le médecin ayant voulu appliquer les prescriptions du référentiel qualité après l’événement indésirable que constitue une faute médicale mortelle ayant fait l’objet de harcèlement moral reconnu par la chambre criminelle de la cassation (double pourvoi de la direction), sa plainte initiale ayant été classée sans suite l’obligeant à se constituer partie civile.
Dans ce dossier, si aujourd’hui il n’y a pas de sanction pénale, les sanctions disciplinaires sont possibles dans la chaine de responsabilités, mais la ministre Agnès BUZYN, placée face à ses responsabilités par le médecin victime du harcèlement moral, ne fait pas les diligences attendues alors que cette affaire exemplaire de « l’ancien monde » pourrait donner des leviers pour réformer l’hôpital et au-delà la fonction publique et la vie politique.
Dans un autre dossier dont j’ai eu à connaître, l’arbre des causes de l’accident du travail met en exergue sous Nicolas Sarkozy comme sous François Hollande comme sous Emmanuel Macron des inerties prouvables au sein de la DDASS et ARH devenues ARS, de l’inspection du travail, du médecin inspecteur régional du travail et de la main d’œuvre, du ministère de la santé, du ministère du travail, les sanctions disciplinaires restant possibles dans la chaine de responsabilités à défaut de sanctions pénales.
Macron sera-t-il non plus le duc d’Aiguillon mais un président aiguillon pour permettre à la France d’abolir de nouveau les privilèges en réformant la fonction publique et le statuts des élus « donneurs d’ordre » ?