Pour lutter contre la corruption, la justice n’a pas les moyens qu’il faudrait
L’économie ne peut se redresser sans une justice à la hauteur pour les acteurs économiques afin de lutter contre la corruption.
Alors que la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) vient de publier un rapport montrant les retards en France par rapport à d’autres pays (lire l’interview de Jean-Paul Jean, président de chambre à la Cour de cassation, et un résumé du rapport), il n’est pas inutile de rappeler le rapport du GRECO il y a quelques mois.
Le Greco dans son dernier rapport sur la France relève non sans raison des risques pour la qualité de la justice et de l’Etat de droit aussi bien avec les tribunaux de commerce mais que les conseils de prud’hommes.
Ces tribunaux peuvent dans leurs jugements respectifs impacter directement les acteurs économiques, employeurs ou salariés. Or leur composition et leur organisation sont perfectibles.
Je peux confirmer d’expérience le bien fondé des observations du GRECO sur les conseils de Prud’hommes.
Extrait du rapport du Greco pour lutter contre la corruption:
Sur les tribunaux de commerce pour lutter contre la corruption
78. Compte tenu de l’importance des principales juridictions judiciaires en pratique, c’est sur elles que l’attention de l’EEG a porté dans une large mesure. Deux catégories de tribunaux méritent toutefois une attention particulière compte tenu de leurs insuffisances et des controverses qui entourent leur fonctionnement ; celles-ci découlent largement du fait que ces tribunaux ont des formations de jugement composées exclusivement de juges non-professionnels en première instance. La première est celle des tribunaux de commerce, qui sont notamment compétents pour trancher les litiges entre commerçants, banques, ou sociétés commerciales et pour prononcer les mesures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire des entreprises en difficultés (procédures collectives). Il doit être précisé qu’il existe toujours dans les régions Lorraine et Alsace des tribunaux de grande instance à chambre commerciale échevinée tels Metz, Thionville, Sarreguemines, Saverne, Strasbourg, Colmar et Mulhouse. Les tribunaux de commerce sont composés de juges bénévoles, issus du milieu des affaires et élus par leurs pairs. Un certain nombre d’affaires aboutissent à une conciliation (ou un jugement en équité plutôt qu’en droit) et les appels restent faibles (ce sont les cours d’appel qui connaissent de ces affaires). Plusieurs études critiques (dont deux rapports d’enquête parlementaire) ont été consacrés à la justice consulaire, dont les juges sont exclusivement élus par leurs pairs (au sein du monde économique) et qui travaillent gracieusement. L’EEG a parcouru avec attention les travaux de la mission d’information parlementaire sur le rôle de la justice en matière commerciale dont les conclusions ont été publiées par l’Assemblée nationale le 24 avril 2013, qui suggère notamment des mesures en vue d’assurer une meilleure indépendance des juges consulaires, l’adoption et la diffusion de règles déontologiques, un accès direct du justiciable à la commission nationale de discipline (actuellement composée à parité de magistrats professionnels et de juges consulaires) et sa dotation d’un pouvoir autonome de sanction, la mise en place d’un mécanisme de déclaration d’intérêt obligatoire ainsi que le suivi obligatoire pour les juges consulaires d’une formation gratuite, ciblée sur les besoins de la fonction (actuellement celle-ci est facultative). Les recommandations précitées se recoupent avec les préoccupations du GRECO et l’EEG a cru comprendre que ce rapport pourrait être suivi d’une réforme. Durant sa visite, l’EEG a constaté que le système actuel suscitait effectivement des doutes aussi bien sous l’angle de son fonctionnement, de son indépendance, de sa surveillance que de la prévention des conflits d’intérêts. Le bénévolat est critiquable, ce d’autant qu’il sous-tend que les entreprises employant les juges consulaires continuent à leur verser leur salaire pour le temps consacré à cette activité, ce qui suscite de grandes craintes sous l’angle de l’indépendance. Il a en outre été rapporté que la surveillance de la justice consulaire n’avait pas été une priorité, parfois faute de temps (toutefois, l’Inspection générale des services judiciaires aurait participé activement à plusieurs groupes de travail sur la justice consulaire et un inspecteur général aurait rédigé, dans ce cadre, une note sur la déontologie attendue des juges consulaires). Par ailleurs, il semblerait que le conseil de discipline des juges consulaires ne se serait jamais réuni. L’Etat a donc délégué à une justice presque entièrement non-professionnelle, sans contrôle suffisant et sans formation obligatoire, un pan aussi important de l’activité judiciaire (plus de 3’000 juges) au motif que les juges professionnels étaient peu à même des questions commerciales et de la lecture des pièces comptables et que cette approche permettait finalement de pallier le nombre insuffisant de magistrats pour faire face à ce champ de compétence. Un groupe de travail sur la justice consulaire a été installé par la garde des sceaux le 5 mars 2013. Dans ce cadre, le sous-groupe de travail « déontologie, statut, formation » a effectué des préconisations en ces matières. En outre, un projet de réforme du code de commerce est en cours de préparation au ministère de la Justice et devrait prendre en compte ces préconisations. L’«échevinage» et le statut des juges consulaires font également l’objet de réflexions. L’instauration d’une « délocalisation » des affaires est également envisagée.
Sur les conseils de Prud’Hommes pour lutter contre la corruption
79. La seconde catégorie de tribunaux retenue par l’EEG est celle des Conseils des prud’hommes. Chargées des litiges en lien avec un contrat de travail ou d’apprentissage, ces juridictions sont là aussi composées de juges bénévoles en première instance : deux représentants du milieu des employeurs et deux représentants des salariés. Ces juges non professionnels ont pour mission de tenter une conciliation des parties et, en cas d’échec, de trancher les litiges. Si aucune majorité du Conseil ne se dégage en faveur d’une solution, ils font appel à un juge départiteur (juge du tribunal d’instance). L’EEG a recueilli des témoignages selon lesquels le mode de fonctionnement de cette juridiction soulevait des questions importantes, notamment sous l’angle des conflits d’intérêts et de l’impartialité (notamment car chaque groupe de juges bénévoles défend d’abord les intérêts catégoriels de ses électeurs), ou encore du manque de professionnalisme (un cas a été cité comme exemple typique de dysfonctionnements, dans lequel un avocat s’apprêtait à plaider une affaire devant un conseil composé de sa secrétaire fraichement élue juge). Enfin, ces praticiens ne suivent aucune formation faute de temps ou de volonté (ou parce que les représentants des employés ont des comptes à rendre à leur employeurs), ce qui peut causer des problèmes lorsque siègent de nouveaux élus, totalement étrangers au fonctionnement de l’institution. Il semblerait qu’un projet existe en vue de réformer le mode de désignation des conseillers.
80. L’EEG considère qu’une réforme rapide de ces deux catégories de tribunaux s’impose. La nomination d’un juge professionnel pour présider la juridiction de première instance dans le but d’assurer le respect des règles procédurales (notamment au niveau des règles de récusation), ainsi que le fait de rendre la formation obligatoire, tant pour les représentants des employeurs que pour ceux des salariés, pourraient faire partie des mesures nécessaires pour assurer un bon fonctionnement, garantir l’impartialité et prévenir tout conflit d’intérêts. Des règles statutaires et déontologiques, ainsi qu’ et une supervision plus efficace devrait accompagner cette réforme. Le GRECO recommande qu’une réforme soit conduite au niveau des tribunaux de commerce et des conseils des prudhommes afin de renforcer l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité des juges non professionnels.
Les deux extraits des rapports du Groupe d’États contre la Corruption (GRECO) sur les tribunaux de commerce et les conseils de prud’hommes mettent en lumière des questions importantes concernant la transparence, l’intégrité et la confiance dans la justice française. Bien que certaines mesures aient été mises en œuvre en réponse aux recommandations du GRECO, force est de constater que ces réformes n’ont pas conduit à un véritable changement de paradigme.
Des mesures correctrices sans changement profond
En ce qui concerne les tribunaux de commerce, le GRECO a souligné la nécessité de renforcer la transparence dans la nomination des juges consulaires et d’améliorer les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts. Des efforts ont été faits pour répondre à ces recommandations, notamment par l’adoption de procédures plus rigoureuses et une surveillance accrue des pratiques internes. Cependant, ces ajustements n’ont pas permis de dissiper le climat de défiance qui entoure ces juridictions.
Quant aux conseils de prud’hommes, des mesures ont également été introduites pour remédier aux dysfonctionnements identifiés par le GRECO, notamment en matière de formation des conseillers prud’homaux et de gestion des dossiers. Malgré ces avancées, les critiques persistent quant à l’indépendance et à l’efficacité de ces juridictions qui tendent à devenir des juridictions fantomes par la diminution du nombre de dossiers.
Une confiance en la justice toujours érodée
Ces réformes, bien qu’essentielles, ne suffisent pas à transformer en profondeur la relation des Français avec leur système judiciaire. La défiance reste forte, alimentée par une perception que la justice, qu’elle soit commerciale ou sociale, demeure inaccessible et influencée par des considérations autres que l’équité.
Le taux de confiance dans la justice s’est s’effondré à 44 % en 2023, d’après le Cevipof.