La corruption en France : naufrage des institutions
La gauche de la gauche et les syndicats contestataires sont en émoi.
Une inspectrice du travail a été condamnée.
S’il y a des explications objectives à la décision du tribunal correctionnel, cette affaire est néanmoins révélatrice du naufrage de nos institutions.
Il semble qu’il n’y ait eu aucune instruction générale dont puisse se prévaloir Laura Pfeiffer, une inspectrice du travail poursuivie en 2015 par le Parquet et une entreprise après avoir pu découvrir des liens incestueux entre sa hiérarchie et la direction de l’entreprise qu’elle contrôlait (Dans son avis N°13-003 rendu le 10 juillet 2014, le Conseil National de l’Inspection du Travail, sur saisine de Madame Pfeiffer, reconnaissait que : « Dans l’affaire en cause, tant l’entreprise que l’organisation patronale qu’elle a sollicité ont cherché à porter atteinte à ces exigences (l’indépendance de l’inspection du travail) en tentant d’obtenir de l’administration (préfet) et du responsable hiérarchique le changement d’affectation de l’inspectrice et par là-même la cessation de contrôle à l’égard de l’entreprise…..» : elle a eu sans doute le tort de diffuser les éléments de preuves à des personnes non autorisées mais le dossier a été dérangeant pour des propos prêtés au Procureur de la République d’Annecy (Il aurait déclaré « Qu’une grande entreprise vienne dire au directeur du travail qu’une inspectrice du travail lui casse les pieds, je ne suis pas juridiquement d’accord. Mais en même temps, c’est la vie réelle, on vit dans un monde d’influence et de communication, ce n’est pas le monde des Bisounours. » « On n’en est qu’au stade des poursuites, mais ce peut être un rappel à l’ordre pour un corps qui se doit d’être éthiquement au-dessus de la moyenne, une occasion de faire le ménage. » : il a démenti la seconde phrase.au point que Yves Struillou, Directeur général du Travail qui a succédé à Jean Denis Combrexelle, lui a écrit (Lettre du 26 mai 2015 diffusée sur les réseaux sociaux) pour lui rappeler le statut de l’Inspection du Travail
Dans la pratique, les PV de l’Inspection du Travail (et les plaintes des salariés) sont souvent classés sans suite et, pour peu qu’un ou des notables locaux autorité constituée (qui maire, qui conseiller général, qui juge prud’homal ou consulaire …) ou non (dirigeants de réseaux d’influence) soient impliqués, la mansuétude que traduit un classement sans suite par le Parquet interroge.
Quant à la ministre Myriam El-Komri saisie par les organisations syndicales sur le cas de Laura Pfeiffer, sa réponse technique (Lettre du 16 octobre 2015 diffusée sur les réseaux sociaux) de juriste n’a pas satisfait les organisations syndicales.
Des propos du Procureur d’Annecy lors du procès de l’Inspectrice du Travail Laura Pfeiffer, retranscrits par Libération (« Comment l’affaire Tefal s’est muée en procès contre l’inspection du travail », Libération, 17 octobre 2015) illustrent un dérapage de nos institutions qui est bon ni pour les entreprises, ni pour les salariés :« A l’heure où le pays est plongé dans la crise, où le chômage est en hausse, où des responsables politiques et syndicaux appellent à la violence (…) L’inspection du travail ne peut pas tout faire ,(…) n’est pas là pour la défense des faibles ; l’inspecteur n’est pas le défenseur des salariés, et pourtant beaucoup le revendiquent haut et fort (…) [elle est] la garante de l’application de la loi et l’impartialité est son obligation numéro un en prenant en compte les réalités humaines et économiques ».
Ses propos sont à rapprocher de ceux rapportés par la presse en début d’année : «on vit dans un monde d’influence et de communication».
Quelques questions viennent à l’esprit à la lecture des propos du Procureur de la République :
- Où s’arrêtent « l’influence et la communication » pour passer au trafic d’influence et la corruption ?
- La « loi du plus fort » doit-elle l’emporter en entreprise, qu’il s’agisse de violence impunie de salariés ou de violence impunie d’employeurs ?
- Qui protège le « faible », qui n’est pas toujours le salarié ? Dans certains secteurs ce sont même les syndicats qui sont en position de force le cas échéant contre les intérêts de l’entreprise (dockers, syndicat du livre…).
L’Inspectrice du Travail Laura Pfeiffer a été condamnée, le 4 décembre 2015 :
- 3500 euros d’amende avec sursis ;
- 1 euros pour chaque partie civile (encadrants de Tefal) ;
- 2500 euros au titre des frais d’avocat engagés par Tefal ;
- Inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire – ce qui aurait pu ouvrir la voie à une procédure disciplinaire et une décision de la ministre sur l’incompatibilité avec les fonctions exercées.
Liaisons Sociale a informé que Laura Pfeiffer a interjeté appel et que la ministre du Travail a l’a mise sous la protection de son administration, qui prend à sa charge les 3500 euros d’amende et les frais de justice, « aucune suite » n’étant donnée à l’inscription de la condamnation à son casier judiciaire. Yves Struillou, directeur général du travail (DGT), a également rencontré Laura Pfeiffer pour évoquer ses conditions d’exercice et la suite de sa carrière.
Que Laura Pfeiffer ait fait une erreur en diffusant des documents à des personnes non autorisées, dans une procédure non autorisée, c’est une évidence. C’est d’ailleurs une logique similaire qui s’applique au salarié. La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle ainsi régulièrement que des documents internes doivent être strictement nécessaires à assurer sa défense dans un dossier aux Prud’hommes, sous peine que la détention de documents par l’ex-salarié soit qualifiée de vol et ces documents doivent être liés au poste de travail (Cf. synthèse du droit applicable) : justifie ainsi sa décision une cour d’appel qui, pour déclarer coupable de vol de documents de l’entreprise, un salarié qui les a photocopiés, retient que les photocopies réalisées à l’insu de l’employeur, ont été remises non pour assurer sa défense dans un litige prud’homal mais lors de son audition par les gendarmes sur la plainte pour diffamation déposée contre lui par cet employeur (Cassation criminelle 9 juin 2009, N°08-86843)
La morale et le droit n’ont à vrai dire rien à voir…
Mais, si Laura Pfeiffer est condamnée, on ne peut que s’étonner du cas d’une inspectrice du travail de Moselle qui n’a pas agi voire a fait des omissions volontaires dans ses rapports sur de la violence établie (il faut observer dans ce dossier toujours en cours que d’une part l’appui politique et financier en connaissance de cause de la tutelle à la direction et d’autre part la présence au Conseil d’Administration, d’un maire, d’un conseiller prud’homal employeur et d’un ex vice président du conseil général, sont avérés) puisse être promue au grade de directrice adjointe du travail puis responsable d’Unité de Contrôle dans la nouvelle organisation de l’Inspection du Travail.
C’est en réalité une grosse erreur de vouloir réduire à un conflit droite-gauche ou inspection-patrons cette affaire Laura Pfeiffer.
La vraie question est le choix entre
– soit l’Etat de droit, y compris dans l’entreprise : cela vaut pour employeurs et salariés car il n’y a aucune excuse à la violence sous toutes ses formes (la violence syndicale contre l’employeur ou les cadres existe aussi à l’instar de ce qui s’est passé à Air France qui a amusé des syndicalistes dans une vidéo parodie irresponsable : le licenciement des agresseurs du DRH d’Air France est entièrement justifié tout comme ne peut être acceptée l’amnistie des pseudo syndicalistes qui commettent des violences),
– soit la République bananière par les turpitudes de politiciens de droite ou de gauche avec l’appui d’administrations manquant aux devoirs du service public
Ce n’est pas un hasard si l’indice de perception de la corruption en France se dégrade.
Et ce n’est pas un hasard non plus si l’abstention est important et si le vote blanc et FN progressent aux élections.