Les conséquences d’un mauvais recrutement sont énormes pour l’entreprise.
Qu’est-ce qu’un mauvais professionnel dans un recrutement ?
En période de crise où les marges de manœuvre pour le recrutement se font rares, les entreprise sont d’autant plus vigilantes dans le choix des collaborateurs et devraient vouloir éviter de recruter un « mauvais » collaborateur.
Mais qu’est-ce qu’un mauvais professionnel ? Que peut-on appeler une erreur de recrutement ?
Après avoir clarifié la notion de mauvais professionnel, nous verrons sous quelles conditions un tel professionnel peut le cas échéant être recruté.
La notion de mauvais professionnel
Le Littré définit le terme « mauvais » comme « Qui n’a pas les qualités qu’il doit avoir ».
Par rapport à un collaborateur, deux dimensions sont à prendre en considération : d’une part la question du manque de compétence, d’autre part la question du manque d’éthique.
La question du manque de compétence
Les personnes morales veulent de l’expérience professionnelle. Quand un collaborateur ou un dirigeant sort d’un « vivier de personnel expérimenté » comme un Big Four, le recruteur présumera expérience et compétence et aura tendance à exclure ceux ne sont « pas tombés dans la potion magique ». C’est la raison pour laquelle, les postes d’auditeur interne ou compliance sont majoritairement occupés par des ex collaborateurs de Big Four.
Or l’expérience n’est pas la compétence. Un collaborateur ou un dirigeant peut passer plusieurs années dans une entreprise réputée ou non sans être pour autant compétent. Mais ses références et la longévité rassurent.
Enjeux Les Echos a ainsi analysé il y a quelques années le mystère des tocards (Enjeux Les Echos du 1er janvier 2003) . Nuls, incompétents, contre-productifs, les tocards dans l’entreprise, qui occupent parfois des postes élevés, arrivent pourtant à conserver leur place. Ces cadres, inaptes à leur fonction, qui pourtant devraient être virés, ne le sont pas car ils sont en réalité utiles, sinon indispensables, à l’organisation de l’entreprise. Le tocard permet de rassurer les autres collaborateurs sur leurs compétences, prouvant qu’il y a toujours plus nul que soi. L’image que renvoie ce charlot révèle la culture de l’entreprise, montrant les comportements interdits. En fait, étant tour à tour agent d’ambiance et bouc émissaire, il permet de consolider l’équipe et celle-ci souhaite donc qu’il reste à jouer son rôle. Frédéric Adida , a expliqué, concernant une commerciale qui cumulait les erreurs : « Elle était le pilier de l’équipe. Si elle partait, qui allait faire rire les gens dans cette entreprise où tout le monde était stressé ? ».
Le sociologue Yves Enrègle a montré l’importance du tocard dans une équipe en analysant le rôle du barde dans le village d’Asterix : le barde doit donc être scrupuleusement gardé au sein de l’équipe malgré les désagréments qu’il apporte, car il rend possible la cohésion de celle-ci.
Le tocard est également l’adjoint du chef, qui est honni des salariés à la place du numéro 1. Si certaines hiérarchies ferment les yeux sur leurs tocards pour éviter de se remettre en question, certains cadres sont passés également maîtres dans l’art de masquer leurs manques. Le tocard a par ailleurs une relation ambiguë avec son patron, qui trouve en lui un soutien ou un confident attitré, malgré les critiques portées par les autres collègues du service. Enjeux Les Echos a souligné que ce cadre, bien qu’inapte dans sa fonction, a su réunir plusieurs atouts en sa faveur lui permettant de se faire bien voir de la direction. Ses compétences relationnelles doublées d’une certaine reconnaissance du patron en font un inapte redoutable, difficile à déloger.
La « tocardise » révèle un dysfonctionnement de l’entreprise où le groupe a besoin d’un bouc émissaire ou son patron d’un flatteur.
Quand de tels collaborateurs finissent par quitter l’entreprise soit par démission ou licenciement, il est évident que l’entreprise ne va pas reconnaître leur « tocardise », qui peut apparaître toutefois dans les sources officielles et publiques que ne doit alors pas ignorer l’entreprise sous peine de perdre sa crédibilité surtout quand elle véhicule un discours sur la compétence de ses employés.
Quoi qu’il en soit, le défaut de compétence peut se corriger par de la formation. Il n’en est pas de même des carences éthiques qui renvoient à l’exigence d’honorabilité.
La question du manque d’éthique
Trop de personnes morales recherchent le collaborateur soumis, le béni-oui-oui qui exécute sans (se) poser de question. Or à force d’échanger dans la même monnaie ne devient-on pas un faux jeton ?
Dans une acception normale, le collaborateur ou le dirigeant qui n’est pas correct est bien celui qui manque de d’intégrité et de probité, le Professeur Nilles , allant jusqu’à considérer que l’éthique est une compétence professionnelle. Alors que la morale définit des principes ou des lois générales, l’éthique est une disposition individuelle à agir selon les vertus, afin de rechercher la bonne décision dans une situation donnée. La morale n’intègre pas les contraintes de la situation. L’éthique au contraire n’a de sens que dans une situation. La morale ignore la nuance, elle est binaire. L’éthique admet la discussion, l’argumentation, les paradoxes. L’approche de l’éthique professionnelle doit reposer à la fois sur la dimension morale (il ne peut s’agir d’ignorer les principes) et sur la dimension éthique (quelle décision est la meilleure dans le cas présent ?). Lorsque cette réflexion devient collective et fait l’objet d’une formalisation, la démarche devient déontologique, dans un sens large. Si ces règles ont une valeur pour l’ensemble d’une profession et font l’objet d’une reconnaissance officielle, il s’agit d’une déontologie au sens restreint.
C’est cette compétence éthique des collaborateurs qui est la plus sensible pour la réputation.
Donner sa chance sous conditions
Donner sa chance
La personne morale peut être tentée de chercher le collaborateur ou le dirigeant malhonnête : c’est est un profil sur lequel on peut faire pression pour lui demander des pratiques contraires à l’éthique
Mais, revers de la médaille, la personne choisie pour son intégrité et sa probité douteuses dont l’entreprise finit par vouloir se séparer peut faire pression sur ses ex employeurs et/ou son réseau pour se réinsérer professionnellement : dirigeants, financiers, comptables, informaticiens… peuvent ainsi mettre en avant les petits (et grands) secrets qu’ils détiennent et dont leur révélation pourrait être nuisible à l’entreprise. Les réseaux a fonctionnent alors pleinement pour couvrir et se couvrir par une loi du silence.
Est-ce à dire que des individus malhonnêtes doivent être à jamais rejetés ? Non, car ce ne serait pas très… éthique. On peut recruter de tels collaborateurs mais sous certaines conditions.
Les conditions
Donner la chance c’est faire preuve de transparence sur leur recrutement et ne pas leur confier n’importe quelle fonction
Lorsqu’une entreprise décide le recrutement d’un individu qui n’a pas été correct, surtout lorsque les sources sont officielles et publiques (un procès mettant en cause la probité du collaborateur par exemple), il faut expliquer que l’on veut lui donner une nouvelle chance et surtout ne pas le faire passer pour correct : le personnel n’est pas dupe et les subordonnés ont le devoir de rendre compte des « red flags ». Mais cela peut se retourner contre celui ou celle qui alerte si le recrutement a été fait sciemment. En outre, vis à vis des réviseurs, un recrutement de mauvais collaborateur ne doit pas se faire en catimini sous peine d’être suspect de rechercher le Triste Sire : il est clair que l’on ne recrute pas de tels collaborateurs par accident et la découverte par un commissaire aux comptes de tels recrutements banalisés doit l’incliner à la redoubler de vigilance : l’entreprise n’est sans doute pas éthique et peut menacer sa réputation.
Par ailleurs si une entreprise recrute un mauvais collaborateur, elle ne doit pas lui confier n’importe quelle fonction. Un collaborateur qui n’a pas été correct ne peut exercer n’importe quelle fonction. En particulier il faut proscrire les postes à responsabilité financière et de recrutement exclusive.
Un collaborateur qui a abusé de ses fonctions pour utiliser l’argent d’une entreprise (usage abusif de la carte de crédit, usage abusif d’un pouvoir d’engagement financier, abus de bien social…) ne doit plus avoir aucune responsabilité financière.
Un collaborateur qui a abusé de ses fonctions pour commettre une ou des fraudes en général ne doit exercer aucune responsabilité de recrutement, car comme l’avait souligné Frédéric Kohler, Trainees & Training Manager de BNP Paribas en Suisse, ce ne sont ni les influences du recruteur, ni sa technique mais bien son éthique personnelle qui, seule, lui permet de prendre la décision juste et efficace pour recruter le collaborateur éthique.
En conclusion, l’éthique est importante : elle se réfère à des valeurs et une déontologie professionnelle et se juge sur le comportement et l’attitude, en dehors de toute compétence professionnelle avérée. C’est une qualité comportementale requise. En France, mais aussi dans les autres pays qui ont chacun leurs réseaux dévoyés, elle manque cruellement à de nombreux professionnels de « l’oligarchie des incapables« .
Cet article est paru dans une première version sur Finyer (ex CFO News) le 18 septembre 2007