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L’obligation de sécurité de résultat affinée

 

L’obligation de sécurité de résultat ne s’applique pas pour le salarié qui met en échec l’obligation de prévention par l’employeur.

C’est l’enseignement à tirer d’un arrêt important de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation en date du 25 novembre 2015 (N° 14-24444) a pu être interprété comme une atténuation voire une remise en cause de l’obligation de résultat pesant sur l’employeur d’autant qu’il s’est agi d’un arrêt classé FP-P+B+R+I.

La réalité est plus nuancée : il est simplement rappelé que l’obligation de l’employeur demeure sauf à prouver que c’est le salarié qui a refusé de se soumettre aux règles que l’employeur a pris dans le cadre de son obligation de sécurité !

Il s’agit du dossier Patrick BARBIER que le salarié a choisi, non seulement de porter sur la place publique en saisissant le Conseil de Prud’hommes, mais aussi de médiatiser (sur Miroir social repris sur Rue 89), ne pouvant dès lors se prévaloir d’une quelconque anonymisation.

L’arrêt du 25 novembre 2015 et son contexte jurisprudentiel

Le Cabinet Ellipse a titré « Obligation de sécurité de résultat de l’employeur : un assouplissement bienvenu ! » tout en soulignant toutefois que l’obligation générale de sécurité n’est pas remise en cause ; elle est légale et « gravée dans le marbre » de l’article L4121-1 du Code du travail.

C’est également l’interprétation donnée par la Semaine Sociale Lamy, qui titre « L’infléchissement de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité : La Cour de cassation envoie un signal sur l’obligation de sécurité de résultat qui se meut en obligation de moyens renforcée. »

Peu avant, dans un arrêt concomitant il est vrai non publié au bulletin en date du 19 novembre 2015 (N° 13-26199), la Cour de Cassation avait statué que que l’employeur ne justifiait pas avoir pris des mesures suffisantes confirmé le manquement à l’obligation de sécurité de résultat.

L’employeur avait bien essayé notamment de faire valoir que les reproches faits à M. Y… par le salarié étaient à relativiser puisque la plainte déposée à son encontre par le salarié, le 4 mai 2009, pour harcèlement moral avait été classée sans suite en l’absence d’éléments probants et qu’en se bornant à affirmer que la mesure prise par l’employeur apparaissait insuffisante compte tenu de la gravité du contexte, sans dire en quoi le fait pour l’employeur d’avoir engagé une procédure disciplinaire quelques jours à peine après la dénonciation des faits par le salarié, à l’encontre d’un acteur du conflit noué avec M. X…, était insuffisant à protéger sa santé et sa sécurité, ni s’expliquer sur le classement sans suite de la plainte pour harcèlement moral déposée par le salarié suite à ses faits, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail.

Sans effet.

La Haute Juridiction a en effet considéré que : « Attendu qu’après avoir exactement rappelé que l’employeur a, vis-à-vis de ses salariés, une obligation de sécurité de résultat, la cour d’appel, qui a constaté qu’il résultait du rapport établi le 19 mars 2009 par l’inspecteur du travail, qu’un grave conflit opposait le salarié à trois autres collègues, conflit qui avait mis en danger sa santé puisqu’il avait dû être hospitalisé en urgence le 13 janvier 2009 et qui a relevé que l’employeur ne justifiait pas avoir pris des mesures suffisantes pour tenter d’apaiser ce conflit, connu de lui depuis le 9 janvier précédent, a légalement justifié sa décision ».

Les enseignements de management

Les commentaires sur le fameux arrêt FP-P+B+R+I du 25 novembre 2015 (N°14-24444) passent à côté de l’essentiel qui explique la décision concernant un membre du personnl d’Air France après les attentats du 11 septembre 2001 : la faute du salarié qui s’est soustrait au contrôle par le médecin du travail : il a été licencié le 15 septembre 2011 pour ne pas s’être présenté à une visite médicale prévue pour qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol.

Ne pas se présenter à une visite à la médecin du travail, même si le médecin est perçu à tort ou à raison à la solde l’employeur (ce qui ne semble pas le problème ici), est une cause réelle et sérieuse de licenciement parce que cela met en échec l’obligation de prévention par l’employeur par la faute du salarié :

  • la chambre sociale, dans un arrêt du 17 octobre 2000 (N°97-45286), a confirmé le motif de licenciement pour faute grave à l’encontre d’un salarié qui, après avoir été déclaré temporairement inapte en raison d’une maladie, ne s’était pas présenté à la visite médicale prévue à la fin de la suspension.
  • la chambre sociale, dans un arrêt du 29 mai 1986 (N°83-45409), a confirmé le licenciement d’un salarié ayant refusé de se présenter à la visite régulière de médecine du travail (attendu que la Cour d’appel a pu estimer, en raison du caractère impératif des dispositions légales et réglementaires régissant la médecine préventive du travail, que le refus opposé par M. E… constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que, par ce seul motif, elle a légalement justifié sa décision).

Comme il y a eu des salariés qui galvaudent le harcèlement moral en l’invoquant de manière abusive, le salarié est totalement de mauvaise foi dans ce dossier car il a galvaudé l’obligation de sécurité de résultat en l’invoquant de manière abusive.

Il faut relire les faits qui ressortent et les interpréter du point de vue du management:

  1. Au retour de New-York le 11 septembre 2001, le salarié a été accueilli comme tout l’équipage, par l’ensemble du personnel médical mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter éventuellement les intéressés vers des consultations psychiatriques : cette organisation ne lui a pas convenu (l’employeur écrit dans son mémoire que le salarié ne conteste pas la réalité de l’accueil mis en place mais indique que cet accueil ne répondait pas aux besoins des salariés, qu’il a refusé la prise en charge qui lui était proposé dans les jours qui suivaient le 11 septembre 2001, et a repris son service sans aucune réserve et sans manifester un quelconque double : l’employeur ne pouvait le contraindre à entamer un suivi )
  2. Le salarié a été déclaré apte par quatre visites médicales intervenues entre le 27 juin 2002 et le 18 novembre 2005 (il ne semble pas avoir contesté les avis d’aptitude) et a exercé sans difficulté ses fonctions jusqu’en avril 2006 : le délai est trop long pour pouvoir invoquer les attentats (pas de caractère irréfragable) et l’employeur n’a pas été informé loyalement d’une dégradation de l’état de santé du salarié liée aux attentats (l’employeur écrit dans son mémoire que s’il y a eu prescription de médicaments liés à un état dépressif constaté le 13 décembre 2002, il apparaît à la lecture du certificat établi par le médecin généraliste le 28 mars 2008, que non seulement le lien avec les événements dont il a été le témoin n’est pas démontré, mais surtout, que l’employeur ne pouvait aucunement avoir connaissance de cette situation dès l’ors qu’il n’y a pas eu arrêt de travail et qu’il n’y a pas eu d’information de l’employeur ; la société n’a été informée du lien invoqué entre les événements du 11 septembre 2001 et la dégradation de l’état de santé que par un courrier du conseil du salarié
    du 7 juillet 2008)
  3. Le règlement intérieur d’Air France dispose que « La non présentation répétée à une convocation du Service de Médecine du Travail ou d’expertise est susceptible d’entraîner l’une des sanctions prévue par le présent règlement » (article 1.7). Il est totalement incompréhensible que le management ait laissé passer une telle disposition ,qui n’est toutefois pas formulée par la négative (il n’est pas écrit que La non présentation à une convocation du Service de Médecine du Travail ou d’expertise n’est susceptible d’entraîner l’une des sanctions prévue par le présent règlement que si elle est répétée ), compte tenu de la mauvaise foi des salariés même si il peut être justifié la possibilité de report dans une activité comme celle d’Air France pour nécessités de service eu égard à la mobilité du personnel navigant. Cependant le salarié a fait obstacle à la recherche de reclassement : il y a eu pas moins de trois propositions déclinées par le salarié en indiquant qu’il ne se trouvait pas en état psychologique pour prendre une décision…

 

En conclusion, il pèse sur l’employeur des obligations lourdes en matière de sécurité et santé  et celui qui ne respecte pas les règles élémentaires de sécurité et de santé doit être sanctionné très durement.

L’arrêt du 25 novembre 2015 ne remet pas en cause l’expression « obligation de sécurité de résultat ». Il est écrit  » la cour d’appel a, par ces seuls motifs, propres et adoptés, dont elle a pu déduire l’absence de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, légalement justifié sa décision »

En revanche l’employeur qui fait de bonne foi  les diligences exigées par le Code du Travail ne doit en aucun cas être sanctionné à plus forte raison si le salarié est de mauvaise foi.

 

Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cour_de_Cassation,_entr%C3%A9e_par_le_Palais_de_Justice.JPG

 

Jérôme: Jérôme se propose d’aider les organisations à mettre en œuvre les bonnes pratiques de management et de gouvernance pour une prévention pragmatique des risques. Il a notamment développé une méthode d’analyse pertinente des dysfonctionnements avérés de management que révèle toujours l’implication de toute entreprise dans du contentieux voire du précontentieux pour en tirer des préconisations d’amélioration de l’organisation en complémentarité des professionnels avec lesquels l'entreprise travaille (avocats, experts comptables, notaires, assureurs...)..
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