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Justice administrative : attention danger pour les entreprises requérantes

Le code de justice administrative a été modifié par Décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative (partie réglementaire).

Cette réforme impacte tous les recours des entreprises devant le juge administratif pour contester une décision de l’administration et augmente le risque d’impunité de l’administration pour ses erreurs dont peuvent être victimes les entreprises.

Un article mérite particulièrement commentaire.

L’article 20 du décret insère ainsi dans le Code de Justice Administrative un nouvel article Art. R. 612-5-1 qui dispose que «  Lorsque l’état du dossier permet de s’interroger sur l’intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, le président de la chambre chargée de l’instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l’expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s’être désisté de l’ensemble de ses conclusions ».

Cette demande de la juridiction se présente sous la forme d’un courrier type rédigé comme suit :

 

L’application de cet article R. 612-5-1 introduit suscite de ma part des observations à deux égards : d’une part s’il y a eu une mise en demeure au défendeur sans réponse, d’autre part s’il y a eu demande du défendeur au titre de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative.

L’inversion des rôles avec le défendeur

Si le ministre n’a pas répondu à une mise en demeure adressée par la juridiction plus d’un an et demi voire un an avant l’envoi au requérant d’une telle demande, cela peut surprendre car il y a manque de diligence non pas du côté du requérant mais mais bien du côté du défendeur et cela revient à inverser les rôles.

En effet, l’article R. 612-6 du code de justice administrative dispose que si malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n’a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant.

La jurisprudence précise (CE, 23 décembre 2014, N°364637 ):

Sous réserve du cas où postérieurement à la clôture de l’instruction le défendeur soumettrait au juge une production contenant l’exposé d’une circonstance de fait dont il n’était pas en mesure de faire état avant cette date et qui serait susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, le défendeur à l’instance qui, en dépit d’une mise en demeure, n’a pas produit avant la clôture de l’instruction est réputé avoir acquiescé aux faits exposés par le requérant dans ses écritures. Il appartient alors seulement au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n’est pas contredite par les pièces du dossier.

Le dernier alinéa de l’article Article R613-1 dispose que « Lorsqu’une partie appelée à produire un mémoire n’a pas respecté, depuis plus d’un mois, le délai qui lui a été assigné par une mise en demeure comportant les mentions prévues par le troisième alinéa de l’article R. 612-3 ou lorsque la date prévue par l’article R. 611-11-1 est échue, l’instruction peut être close à la date d’émission de l’ordonnance prévue au premier alinéa », qui dispose « Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l’instruction sera close. Cette ordonnance n’est pas motivée et ne peut faire l’objet d’aucun recours. ».

On notera qu’il n’y a pas d’automaticité pour juger l’affaire en l’absence du mémoire du défendeur (l’instruction peut être close), contrairement à ce qui est prévu en l’absence de réponse du requérant demandeur, qui a pour conséquence un désistement automatique (sera réputé s’être désisté de l’ensemble de ses conclusions ).

La perversité de la réforme ne s’arrête pas là pour les justiciables.

Sur les demandes au titre de l’article L.761-1 du Code de Justice Administrative

Lorsqu’un requérant se désiste, il est réputé se désister également de sa demande de frais irrépétibles sauf s’il maintient formellement cette demande (CE, 7 mars 1994, N°105647).

L’article R 761-2 du Code de Justice Administrative dispose que « en cas de désistement, les dépens sont mis à la charge du requérant sauf si le désistement est motivé par le retrait total ou partiel de l’acte attaqué, opéré après l’enregistrement de la requête, ou, en plein contentieux, par le fait que, postérieurement à cet enregistrement, satisfaction totale ou partielle a été donnée au requérant ».

Cet article pose problème pour le maintien des demandes au titre de l’article L 761-1 lorsque c’est la juridiction qui invite au désistement alors que l’acte attaqué n’a pas été retiré mais que le ministre est  réputé avoir acquiescé aux faits exposés par l’absence de mémoire après mise en demeure part la juridiction.

La question des demandes d’un défendeur au titre de l’article L 761-1 reste posée : le demandeur qui s’est désisté peut être condamné aux frais irrépétibles si des conclusions à cette fin ont été présentées par le défendeur  : le juge peut faire droit aux conclusions du défendeur tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens, dès lors qu’elles ont été présentées avant le désistement du requérant (CE, 3 février 1992, N°80416) voire il a été admis récemment que la circonstance qu’elles aient été présentées postérieurement à la date d’enregistrement du mémoire par lequel le requérant déclare se désister purement et simplement de sa requête ne fait pas obstacle à ce que le juge soit saisi par le défendeur de conclusions tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, au remboursement de frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il appartient dans tous les cas au juge d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, s’il y a lieu d’y faire droit (CE, 3 décembre 2014, N°363846).

 

En conclusion, il ne faut prendre pas le risque d’un désistement pur et simple, même si l’évolution des circonstances de faits et de droit peuvent incliner au désistement entre le dépôt de la requête et le courrier de la juridiction. Il est prudent de produire un nouveau mémoire pour se désister en demandant d’écarter les demandes du (des) défendeur(s) au titre de l’article L 761-1 du Code de Justice Administrative, demandes déjà formulées mais aussi  demandes postérieure au désistement. Ce mémoire est bien entendu à adresser par lettre recommandée avec avis de réception pour être en mesure de prouver qu’il a bien été adressé et reçu, surtout s’il est adressé vers la fin de la période laissée par la juridiction.

Au delà, par rapport à la nouvelle norme ISO 9001:2015 Il y a là une application pour le 4. : Contexte de l’organisme et en particulier 4.1 : Compréhension de l’organisme et de son contexte. L’organisme doit déterminer les enjeux externes et internes pertinents par rapport à sa finalité et son orientation stratégique, et qui influent sur sa capacité à atteindre le ou les résultats attendus de son système de management de la qualité. Une décision administrative erronée peut être préjudiciable sur la capacité à atteindre le ou les résultats attendus du système de management de la qualité. La note 2 précise que la compréhension du contexte externe peut être facilitée par la prise en compte des enjeux découlant de l’environnement juridique.

Jérôme: Jérôme se propose d’aider les organisations à mettre en œuvre les bonnes pratiques de management et de gouvernance pour une prévention pragmatique des risques. Il a notamment développé une méthode d’analyse pertinente des dysfonctionnements avérés de management que révèle toujours l’implication de toute entreprise dans du contentieux voire du précontentieux pour en tirer des préconisations d’amélioration de l’organisation en complémentarité des professionnels avec lesquels l'entreprise travaille (avocats, experts comptables, notaires, assureurs...)..
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