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L’affaire du LEVOTHYROX ou comment évincer de facto un laboratoire en quasi monopole

Il y a quelques semaines, le 21 août 2017 je signais sur le blog Management en Milieu de Santé un article titré « L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) est-elle perfectible en France, dans l’intérêt du patient ? le cas du Lévothyrox » [1] pour évoquer le changement de formule demandé au laboratoire Merck par l’ANSM.

Je ne me plaçais ni en tant que patient, ni en tant que médecin ou professionnel de santé, mais en tant que professionnel du management et de la gouvernance.

Pour rappel, un communiqué de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSN) en date du 3 mars 2017 [2]informait d’un changement de formule et de couleur des boîtes Lévothyrox. Il y était écrit : « Afin de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active (lévothyroxine) tout le long de la durée de conservation du médicament, le laboratoire Merck a réalisé, à la demande de l’ANSM, une modification de la formule de Levothyrox. La substance active reste identique. Cette nouvelle formule sera mise à disposition dans les pharmacies à compter de la fin du mois de mars 2017. Ces modifications ne changent ni l’efficacité ni le profil de tolérance du médicament. Toutefois, par mesure de précaution face à toute modification, et bien que la bioéquivalence entre l’ancienne et la nouvelle formule ait été démontrée, l’ANSM préconise, pour certains patients, de réaliser un dosage de TSH quelques semaines après le début de la prise de la nouvelle formule. Par ailleurs, les couleurs des boîtes et des blisters vont être modifiées: une attention particulière des professionnels de santé et des patients devra être portée lors de la phase de transition pour éviter les erreurs. »

L’affaire du LEVOTHYROX ou comment évincer de facto un laboratoire en quasi monopole [3]

 

 

 

 

 

 

Les changements effectués ont été les suivants :

  • Suppression du lactose, présenté comme un excipient à effet notoire, qui a été remplacé par le mannitol, qui contrairement au lactose est dépourvu d’effet notoire à la dose où il est présent dans les comprimés et ce quel que soit le dosage du médicament.
  • Ajout de l’acide citrique anhydre, excipient très répandu dans la composition des médicaments et dans le domaine alimentaire, utilisé en tant que conservateur pour limiter la dégradation de la lévothyroxine au cours du temps.

Depuis, la polémique a enflé au point qu’il y a eu rétropédalage de la Ministre de la Santé le 15 septembre 2017 en annonçant le retour sur le marché de l’ancienne formule.

Dans un premier temps, je rappellerai ce que je constatais déjà en août avant de commenter la dégradation prévisible de la situation et les questions que cela pose après l’annonce de la ministre.

Les constats que l’on pouvait faire en août

Alors que le LEVOTHYROX, bien que sans doute imparfait, avait pu convenir pendant des décennies aux patients, on a réussi à les placer avec le produit d’origine du laboratoire Merck  modifié dans les mêmes incertitudes qu’il y avait eu lorsque le générique était sorti ( LÉVOTHYROXINE BIOGARAN contenant du Mannitol entre autres excipients [4]) au point que le LEVOTHYROX avait fait partie des rares médicaments non substituables avec une période d’assouplissement lorsqu’il y avait eu la pénurie de LEVOTHYROX .

Mais l’Académie de médecine avait souligné [5] «  que la substitution rendue nécessaire par la pénurie soit mieux encadrée, car les préconisations de l’Ansm lui paraissent insuffisantes » et rappelé que le Lévothyrox est un médicament à marge thérapeutique étroite.

Et l’Académie de relever que « Si de nombreux généralistes et endocrinologues prescrivent systématiquement le LEVOTHYROX sous la mention « non substituable », c’est que des éléments concordants les y incitent, dans l’intérêt de leurs patients » !

En août, la presse [6] avait fait état de plusieurs témoignages de patients et les forums de blogs et des sites internet [7] donnaient également des retours d’expérience négatifs avec la nouvelle formule.

Certains on un peut facilement parlé d’un « effet Nocebo ». Or, s’’il y a manifestement, pour certains patients, une coïncidence entre le changement de formule et l’apparition d’effets indésirables, dans la majorité des cas, il y a probablement une corrélation, à défaut d’une causalité.

Une pétition a même été lancée pour revenir à l’ancienne formule. Elle s’adresse aux laboratoires fabriquant ce médicament ainsi qu’à l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM).

L’auteur de la pétition, dont le pseudo est Sylvielou, citée par Médicite [8], expliquait : « Trop de patients ne supportent pas le nouveau Lévothyrox® , ils ressentent d’importants effets secondaires« . Ainsi, les patients en colère ont exprimé le souhait de revenir à l’ancienne formule.

Mais, il a été communiqué qu’il n’y aurait aucun retour en arrière, renvoyant les patients à la possibilité de déclarer les effets indésirables éventuels.  Dans sa fiche Questions/Réponses [9], à la question « Quels sont les symptômes qui doivent m’alerter sur un déséquilibre thyroïdien ? » l’ANSM répondait  ainsi que « Comme pour tout médicament, en cas d’événement indésirable ou pour toute question relative à la prise du médicament, vous ne devez pas hésiter à consulter votre médecin. Vous pouvez également déclarer les effets indésirables directement via le système national de déclaration auprès de l ‘Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSJW) et du réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance, via le site internet de l’ANSM rubrique Déclarer un effet indésirable: http://ansm.sante.fr »

Une dégradation prévisible de la situation et les questions que cela pose

La situation ne s’est pas arrangée bien au contraire.

La validation de la nouvelle formule s’est avérée insuffisante comme l’a expliqué le Dr Dominique Dupagne dans son article sur http://www.atoute.org : « Nouveau LEVOTHYROX : vraiment bioéquivalent ? Les données disponibles ne permettent pas d’affirmer l’équivalence des deux formules pour un patient donné [10] » :

Face aux nombreuses réclamations concernant le Lévothyrox, [7] l’ANSM a mis en place un numéro vert (0 800 97 16 53), accessible du lundi au vendredi de 9 heures à 19 heures, destiné à renseigner les personnes qui se plaignent d’effets indésirables importants depuis que le médicament a changé de formule.

Les signalement d’effets indésirables sont montés au 11 septembre à 9000 patients sur les trois millions de personnes qui prennent le médicament. Il n’y a pas de fraude, pas de complot, il n’y a pas d’erreur » a-t-elle ajouté. Les chiffres ont été communiqués sur RTL le 11 septembre 2017 [11] par la ministre de la Santé, qui a déclaré « Il y a eu un problème d’information des malades. L’information n’est pas descendue et les patients se sont trouvés surpris d’une formulation qui avait changé ».

Des dépôts de plainte se sont multipliés comme l’a expliqué le Monde (« Levothyrox : une femme dépose plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » », Le Monde, 1er septembre 2017 [12]et « Levothyrox : de nouvelles plaintes pour réclamer une enquête judiciaire », Le Monde, 14 septembre 2017 [13]) : la première plainte a été déposée début septembre à Mougins (Alpes-Maritimes) contre le laboratoire par une avocate, Anne-Catherine Colin-Chauley, elle-même traitée au Levothyrox. Par la suite plusieurs plaintes ont été déposées par l’avocat David-Olivier Kaminski , qui met en question les responsabilités de l’ex-ministre Marisol Touraine, de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et des laboratoires Merck Serono. Plusieurs autres plaintes ont été déposées  sous la houlette de l’avocate et ancienne magistrate Marie-Odile Bertella-Geffroy, ex-juge du pôle santé publique de Paris et conseil de l’Association française des malades de la thyroïde (AFMT) pour quatre motifs : « non-assistance à personne en danger, mise en danger de la vie d’autrui, atteinte à l’intégrité de la personne et tromperie sur les qualités substantielles du médicament aggravée par une atteinte à la santé ». La liste des plaintes n’est pas exhaustive.

Face au tollé qui ne faiblit pas, la ministre a rétro-pédalé le 15 septembre 2017 en déclarant sur France Inter [14] « Nous avons fait en sorte (…) que l’ancien Levothyrox soit accessible de façon à ce que ceux qui le réclament puissent le prendre (…) Et dans un mois nous aurons des alternatives, c’est-à-dire d’autres marques, d’autres médicaments, qui permettront progressivement aux patients de pouvoir choisir le médicament qui leur convient le mieux (…) l’ancien Levothyrox devrait normalement disparaître puisque le laboratoire [Merck] ne devrait plus le produire dans les années qui viennent (…) Ce qui compte c’est que les patient aient le choix ».

Merck va rendre disponible provisoirement la formule précédente du médicament : pour différencier l’ancienne et la nouvelle formule et éviter toute confusion, l’ancienne formule sera mise à disposition sous le nom d’EUTHYROX, le même nom que le LEVOTHYROX à l’étranger. D’autres acteurs concurrents de Merck arriveront par la suite sur le marché, et pas nécessairement des génériques, comme l’a annoncé la ministre. Il serait alors un comble que le lactose revienne…

 

Il demeure que quatre questions sont à poser  :

  1. Quid du sort professionnel des acteurs de la chaîne de responsabilité ou plutôt d’irresponsabilité à l’ANSM et au Ministère de la Santé ?
  2. Quid, alors que les système de santé a des difficultés de financement , du coût pour la collectivité des nouvelles analyses pour les patients qui avaient avaient réussi à parvenir à un équilibre avec l’ancienne formule ?
  3. Quid, alors que les système de santé a des difficultés de financement, du coût de prise en charge des effets indésirables qui n’ont absolument pas été anticipés ?
  4. Quid de la perte de fait du monopole de Merck, qui est perdant, dont l’ancienne formule était prescrite NS (non substituable) précisément parce que les génériques (même molécule mais autres excipients) ne s’étaient pas avérés satisfaisant, ce qui renvoie au processus de décision du changement de formule à l’ANSM ?