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Lanceur d’alerte en entreprise : quelle légitimité ?

Lanceur d’alerte en entreprise : quelle légitimité ?

Dans sa décision  n° 1309 du 30 juin 2016 (15-10.557) [1] la Cour de Cassation reconnait la légitimité du lanceur d’alerte en entreprise, invoquant la liberté d’expression garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [2] :

Vu l’article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ;

La note explicative [3] qui l’accompagne est très claire et va au delà du seul Parquet:

Une telle décision est de nature à protéger les lanceurs d’alerte, dans la mesure où, par ailleurs, la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers.

Le législateur, par la loi Sapin II [4], a voulu aussi protéger les lanceurs d’alerte dans le contexte de l’émoi provoqué par plusieurs affaires (Panama Papers, Luxleaks…), même si l’on a pu percevoir une gêne voire une méfiance chez certains élus.

Pour autant, l’action reconnue légitime du lanceur d’alerte en entreprise, qui a sa définition éthique professionnelle, doit se concilier avec la loyauté envers le représentant légal.

Le représentant légal a un rôle déterminant. Il doit être destinataire de l’alerte, qui doit être précise et circonstanciée.

La hiérarchie aussi peut être informée, sauf dans le cas où c’est elle qui est en cause ; mais même si la hiérarchie n’est pas en cause, il est souhaitable que le représentant légal soit informé, car c’est sa responsabilité qui sera engagée le cas échéant dans le futur, qu’il soit à la tête d’une entreprise, peu importe le statut, ou d’une association en tant que dirigeant de droit, situation qui concerne beaucoup d’élus locaux. Il est difficile de se retrancher derrière une délégation pour échapper à la mise en cause.

Le représentant légal doit donner suite à l’alerte et ne pas se fier aux apparences du « village Potemkine [5] » qu’on peut lui présenter pour contrer ce qu’a exposé le(la) salarié(e). Sa finesse de jugement fait partie des la liste de qualités et défauts du dirigeant selon qu’il donne suite ou non.

Lanceur d’alerte en entreprise : quelle légitimité ? [6]

Source : « Tech in Asia » https://www.techinasia.com

S’il ne donne pas suite aux dénonciations et à plus forte raison s’il choisit en réaction d’agresser celui (celle) qui l’a alerté et faire « toutes les procédures » pour lui nuire sans remise en question, le(la) salarié(e)se trouve alors juridiquement et moralement délié de sa loyauté envers le représentant légal pour porter les faits à la connaissance du procureur de la République voire les dénoncer à des tiers sans se faire rémunérer dans la limite de la liberté d’expression pour exposer des faits avérés, bien évidemment d’une part sans déraper dans la diffamation et/ou l’injure et d’autre part sans vol de documents internes (les documents publics, les documents administratifs et les sources médiatiques ne sont pas des documents internes).

Ce dernier point sur le vol de documents internes est important : justifie sa décision une cour d’appel qui, pour déclarer coupable de vol de documents de l’entreprise, un salarié qui les a photocopiés, retient que les photocopies réalisées à l’insu de l’employeur, ont été remises non pour assurer sa défense dans un litige prud’homal mais lors de son audition par les gendarmes sur la plainte pour diffamation déposée contre lui par cet employeur. Le salarié avait remis ces photocopies de deux lettres de voiture destinées à établir les carences de l’entreprise de transports dans la protection contre le risque de vol des marchandises qui lui étaient confiées ; la finalité n’était donc pas d’assurer sa défense dans le cadre d’un litige prud’homal, mais de tenter de prouver que les faits qu’il imputait à son employeur sur l’absence de sécurité des transports qu’il avait dénoncés auprès des clients et de l’assureur de l’entreprise étaient réels (Cass. soc, 9 juin 2009, 08-86843 [7]). Dans cette affaire, je vois même une volonté de nuire du salarié triste sire qui a informé de manière déloyale les clients et l’assureur de l’entreprise sans être constructif pour l’employeur.

Pour la Cour de Cassation un salarié ne peut s’approprier des documents appartenant à l’entreprise que s’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans un litige l’opposant à son employeur, ce qu’il lui appartient de démontrer (Cass soc, 31 mars 2015, N°13-24410 [8]). Cela va très loin puisque même la copie du bulletin de salaire a été considérée objectivement comme une soustraction frauduleuse justifiant le licenciement (Cass. soc, 8 décembre 2015, N°1417759 [9]).

En revanche, en l’absence de clause de confidentialité explicite et opposable prévue soit dans le contrat de travail après rupture (Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-45322 [10]) soit dans une transaction, le(e) salarié(e) a sa liberté d’expression garantie par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale [2] pour s’exprimer de bonne foi sur des faits le cas échéant versés dans un dossier prud’homal.

On le voit, le sujet du lanceur d’alerte en entreprise est délicat.

 

Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales

Article 10 Liberté d’expression

Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.